Central do Brasil

Voyageurs sans bagages.

Quand un réalisateur un peu original sort des sentiers battus et ponts-aux-ânes des habituels sujets de société, quand il présente une histoire intelligente et originale, il ne prend d’autre risque que de tourner un sujet attachant et de réussir son pari : intéresser un spectateur qui ne connaît ni le metteur en scène, ni les acteurs et qui n’a pas de lumière particulière sur le pays et la société où se déroule le film. Et cela sans faire appel à l’exotisme des situations, qui est souvent d’un effet facile et permet des séductions faciles. Central do Brasil a beau être un peu maladroit quelquefois, comporter une musique envahissante, qui n’est pas très bien adaptée aux situations, c’est assurément un plaisir de le découvrir.

Chaque fois que j’évoque le Brésil, pays-continent si loin, si proche, je ressasse la déception d’avoir vu cette terre, jadis promise à la plus grande réussite économique et à l’harmonie sociale, s’enfoncer chaque décennie un peu davantage dans la sauvagerie et la violence. Central do Brasil date de 1998, plus de vingt ans déjà, et tout laisse à penser que rien ne s’y est arrangé. Dans le film, aucune concession aux gaietés et paillettes du Carnaval, que mettait en scène Marcel Camus en 1959, dans Orfeu negro ; mais pas davantage aux ravages de la criminalité galopante de La cité de Dieu plus tard filmée en 2002 par Fernando Meirelles et Katia Lund. Simplement la banalité terne de la vie quotidienne, d’abord à Rio de Janeiro, puis dans le Sertao au Nordeste.

Institutrice retraitée, Dora (Fernanda Montenegro), pour arrondir des fins de mois parcimonieuses, s’est établie écrivain public, avec un petit éventaire qu’elle tient à la Gare centrale de Rio. De braves gens illettrés, de tout âge, sexe et race viennent lui demander de rédiger pour quelques sous missives familiales, amoureuses, pratiques, documentaires. Sous la lumière terne d’un grand bâtiment sans charme ni qualité, c’est le grouillement habituel des centres de communication où l’on ne quitte les trains que pour s’engouffrer dans les métros et vice-versa.

Dora n’est pas une femme bien agréable : sèche, dure, égoïste, plutôt moche. Sa volupté est de conserver les lettres qu’elle écrit au lieu de les mettre à la poste et d’en discuter avec son amie Irène (Marilia Pera), qui doit avoir – mais ce n’est pas explicite – la faveur facile et la cuisse légère. Les deux femmes, au soir, font un sort aux enveloppes, les déchirant ou les enfouissant dans le grand tiroir d’un bahut. Méchanceté ? Plutôt indifférence complète à l’autre.

Fortuitement, Ana (Soia Lira), une des clientes de Dora, séparée de son mari ivrogne, mais aimé, qui vit dans le Sertao est écrasée par un autobus ; son petit garçon Josué (Vinicius De Oliveira) se trouve presque par hasard recueilli par Dora qui ne cesse de maugréer contre cette charge. Elle le place même chez un couple d’aigrefins qui prétend proposer à des riches Étasuniens des jeunes enfants à adopter, mais qui se livre en fait peut-être au trafic d’organes. Poussée par son amie Irène et saisie de remords, elle vient le rechercher. Et les deux partent à la recherche du père.

Là commence une sorte de road-movie triste à la poursuite d’un homme insaisissable, Jesus, le père de Josué et marqué par de nombreuses rencontres et mésaventures qui ont l’immense mérite de rendre un son vrai et peu à peu de rapprocher la vieille femme morose et le gamin écorché vif. La fin du film est tout à fait parfaite, ne sombre ni dans un happy end qui serait singulièrement malvenu, ni dans une dramaturgie qui serait excessive. On n’est pas obligé de retenir son émotion, d’ailleurs.

Pays déconcertant où cohabitent, coexistent (et sans doute souvent se recouvrent) violence criminelle et religiosité exacerbée, à la limite du paganisme. Terres sèches, masures à perte de vue, impression de déglingue générale. On ne voit pas comment le Brésil pourrait s’en sortir.

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