Chacun cherche son chat

Zincs de Paris.

C’est curieux, d’ailleurs, cette notion de « film-culte d’une génération » qui me paraît assez récente dans le paysage du cinéma. Je ne crois pas que des œuvres aussi significatives que Rendez-vous de juillet (1949) de Jacques Becker ou Les tricheurs (1958) de Marcel Carné aient eu ce statut. Le film qui me vient à l’esprit et qui, le premier, devient cette sorte d’objet d’adulation générationnelle, c’est Easy Rider (1969) de Dennis Hopper, à la suite de quoi des sectes de fidèles assidus se sont constituées.

Toujours est-il qu’un petit film non dépourvu de charme, mais tout de même étique comme un minet de gouttière s’est trouvé promu en 1996 au rang de grand succès critique et public parce qu’il était le témoignage sensible de la boboïsation de l’est de la Capitale, c’est-à-dire de la transformation du quartier de la Bastille, industrieux, artisanal, populaire, en faubourg de la nuit, de la mode et du sexe.

Ce genre de transformation ne se fait évidemment pas en un jour et, pendant un temps donné – une ou deux dizaines d’années – cohabitent au sein du même espace les populations anciennes et les nouveaux arrivants, avec plus ou moins de bonheur, jusqu’à ce que l’inéluctable transformation des lieux soit marquée dans la hausse du prix du mètre carré et par le remplacement de tous les commerces de proximité par des endroits tendance.

Quelques années après l’ouverture du nouvel Opéra, le quartier de la Bastille avait pris une nouvelle vitesse de croisière, mais il demeurait empreint de mixités d’âges et de conditions. C’est ce que capte avec un certain bonheur Cédric Klapisch dans une petite histoire épaisse comme une feuille de papier à cigarettes. Chloé (Garance Clavel, qui a disparu, ensuite, et c’est bien dommage), jeune maquilleuse sans petit ami, cohabite avec Michel (Olivier Py) ; pour pouvoir partir en vacances, elle confie son chat Gri-Gri à une vieille dame amie des bêtes, Renée (Renée Le Calm), de chez qui le chat s’échappe (jolie allitération, soit dit en passant ; bravo, Impétueux !). En le recherchant, à son retour, elle va croiser des routes…

C’est gentil et sans aspérités, même si Klappisch aurait pu se dispenser de deux scènes homo un peu lourdingues, l’une où l’on voit Michel en pleine action (si je puis dire : il est surtout agi) en ombres chinoises, l’autre où une barmaid tente de faire découvrir de nouvelles voies à Chloé. Mais somme doute, c’est une sorte de film-vérité, à peine davantage romancé que ne l’étaient les délicieux Daguerréotypes d’Agnès Varda, dans un tout autre quartier. Il y a beaucoup d’acteurs non professionnels, dont les vieilles dames qui aiment les chats, notamment Mme Renée, qui se tailla, avec le film, un bout de notoriété, et dont l’appartement possède une patine de crasse très authentique.

Mais le malheur c’est que, pour apprécier les films-culte d’une génération, il faut précisément être de cette tranche d’âge et avoir vécu une atmosphère et des aventures analogues, ou comparables à celles qui sont représentées.

Ce qui n’est évidemment pas mon cas. Et comme je n’ai aucune sympathie (c’est une litote) pour ce qu’on appelle aujourd’hui les Bobos (BOurgeois-BOhêmes) et qu’on nommait naguère les Lilis (LIbéraux-LIbertaires), je me demande si le meilleur du film n’est pas dans la beauté grise du zinc des toits de l’éternel Paris.

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