Le rendez-vous de la grâce.
Il y a des films qui ne se discutent pas ! Même chargés d’artifices, maigres dans l’argument, et, comme c’est le cas ici, réutilisant des lyrics déjà créés dans d’autres films, ils ont quelque chose que les plus grands talents du monde peuvent ne pas donner : la grâce. Du même Stanley Donen, quelques années plus tard, il y a Les sept femmes de Barberousse, qui, à bien des égards est mieux construit, mieux filmé… Et c’est pourtant Chantons sous la pluie qui demeurera longtemps, longtemps…
Cela étant et même si, paraît-il, Chantons sous la pluie n’a pas connu un succès éclatant à sa sortie, c’est aussi un film symbolique. 1952 c’est peut-être l’année où les États-Unis sont au sommet de leur puissance et de la sympathie que le monde entier leur porte. À l’exception évidente et notable de ce qu’on appelle le camp socialiste et de ses épigones, pour qui ils sont, naturellement et au contraire, une sorte d’Empire du Mal : la lecture des articles de L’Humanité est, de ce point de vue, terrifiante et hilarante. L’Amérique, comme on dit, c’est l’image la plus aimable d’un avenir radieux et confortable, la prospérité économique éclatante, la gaieté, le rythme, le rêve.
Tout qualificatifs qui s’appliquent idéalement à la comédie musicale, compendium de la bonne humeur, de la joie de vivre et du conte de fées : aucune exigence de réalisme, naturellement, puisque, comme dans l’opérette, genre européen qui ne bénéficie pas ou peu de l’apport fulgurant de la danse, les acteurs, à intervalle régulier, entonnent une mélodie dont la qualité intrinsèque fera beaucoup pour le succès du film. Aucune exigence de réalisme mais une certaine nécessité de respecter la véracité psychologique, à condition que les choses se terminent bien.
On peut quelquefois, dans le genre, s’asseoir sur les considérations que l’on pourrait appeler morales : Chantons sous la pluie est une sorte d’apologie de l’imposture, imposture pour la bonne cause, si l’on veut, mais imposture tout de même : déjà lorsque Don Lockwood (Gene Kelly), au tout début raconte ses débuts à la grosse journaliste qui commente l’arrivée des stars à la Première du spectacle (grosse journaliste qui fait irrésistiblement penser à Elsa Maxwell), il nimbe la réalité de sa dèche des oripeaux d’une existence lisse et dorée. (Et cela donne la séquence irrésistible où, avec son pote Cosmo (Donald O’Connor) et vêtu d’un horrible costume à carreaux, il donne un spectacle fulgurant à ce qui doit être un parterre de péquenauds). Et naturellement dans la substitution vocale de Kathy Selden (Debbie Reynolds, dont on serait bien en peine de citer un autre rôle) à Lina Lamont (Jean Hagen, qui n’a, elle, laissé absolument aucune trace).
Si j’écris ces inutiles vacheries, c’est pour mieux promouvoir celui que je trouve le grand oublié de Chantons sous la pluie, l’excellent Donald O’Connor, qui est bien mieux qu’un faire-valoir et qui est un parfait complice de Gene Kelly. Je regrette un peu que son rôle s’amenuise au fur et à mesure que le film progresse et je trouve qu’il aurait pu apporter encore un peu plus de dynamisme et de vigueur. Mais naturellement Kelly est bluffant, moins élégant et plus athlétique, moins romantique et plus solide qu’Astaire qui aurait peut-être été plus adapté lors de la séquence onirique où Cyd Charisse fait admirer sa sensualité.
Toujours est-il qu’on confine au chef-d’œuvre et qu’on y atteint souvent. Légèreté, intelligence, bonne humeur. Soixante ans et plus. Et pas une ride.