Touffeurs du Vieux Sud
Ça commencerait presque, dans le long (15 mn) pré-générique, comme Autant en emporte le vent : magnifique propriété patricienne à péristyle, jeunes gens bien élevés, serviteurs noirs déférents, toute l’atmosphère du Sud, sassafras, tulipiers, immenses magnolias, chênes couverts de mousse espagnole. Nous sommes en 1927. Et premier assassinat.
Ça finira presque comme Les diaboliques dont il m’étonnerait bien qu’Aldrich ne se soit pas inspiré : journaliste fouineur (aussi clairvoyant que l’est Charles Vanel dans le film de Clouzot), emballage du corps d’un autre assassiné (Joseph Cotten) dans un vieux tapis, crise de nerfs de l’une des deux femmes, plan du mort allongé dans l’eau (et que ce soit, là, dans une rivière plutôt que dans une baignoire ne change rien à l’affaire), résurrection du prétendu mort, et son surgissement devant la victime désignée, qui tourne de l’œil… Les emprunts sont trop manifestes pour être fortuits… C’est d’ailleurs un bel hommage…
Entre-temps, un film haletant, intelligent, cruel, bien mené, même s’il aurait sans doute gagné à être réduit d’un quart d’heure. Sans doute voit-on assez vite où Aldrich veut nous conduire et s’aperçoit-on rapidement que apparemment angélique Miriam (Olivia de Havilland) est, en fait, une belle garce ; mais la narration est impeccable, la montée dramatique recèle de beaux effets et le récit fait haleter jusqu’à la fin (je regrette toutefois que les méchants soient punis de façon assez emphatique : leur bonheur dans le crime me siérait mieux). En plus, le Noir et Blanc est particulièrement réussi, les lumières impeccablement léchées (peut-être un peu trop, d’ailleurs, comme est un peu abusif l’emploi continu des plongées et des contre-plongées, qui finissent par ne plus surprendre).
Mais je me retiens d’aller plus loin que 5/6 : parce que, donc, c’est un soupçon trop long, parce que l’exercice de style est un peu trop présent, parce que, surtout, j’ai eu du mal avec la distribution : si je pourrais passer, à la limite, sur l’outrance des mimiques et de la dégaine de la fidèle servante Velma (Agnes Moorehead) dont le rôle est pourtant extrêmement important, je trouve que Drew Bayliss (Joseph Cotten) manque à la fois de présence et de venin ; et je suis partagé sur la constance du rôle principal, Charlotte Hollis : Bette Davis est parfois extraordinaire (je garde en tête les dernières séquences, où elle quitte sa vieille demeure, sous le regard avide et sanguinolent des mégères du patelin, où elle est toute de mesure et d’équilibre, mais aussi certaines séquences de pure panique), et parfois un peu au-delà (il est vrai que le rôle, l’interprétation d’un cerveau fragile, animé depuis sa jeunesse par un sentiment incestueux informulé pour son père, par un attachement irraisonné pour un amant veule et assassiné, par la réprobation générale et les doutes plus que pesants de l’entourage, par une solitude presque complète, il est vrai, donc, que le rôle n’est pas aisé à interpréter).
Cela étant, Olivia de Havilland est, elle, de bout en bout extraordinaire, et surtout, naturellement, lorsque sa malfaisance absolue peut s’étaler et qu’elle incarne un monstre totalement pervers avec la grâce et le sourire qui étaient déjà ceux de Mélanie Hamilton devant Scarlett O’Hara…