Cigalon

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Un Pagnol bien mineur

Longtemps, dans une sorte de cristalline pureté, je me suis plu à croire qu’il pouvait y avoir, au milieu des chefs-d’œuvre de tel ou tel romancier ou cinéaste, des pépites inconnues qui, par une suite de sort injuste, d’une sorte de malédiction, voire d’une conspiration honteuse se trouvaient plongées dans l’ombre alors qu’elles valaient tout autant que les romans ou les films unanimement célébrés.

J’ai dû déchanter. Non, La Rabouilleuse ou La fausse Maîtresse, ça ne vaut pas Le Père Goriot ou Eugénie Grandet, non, Le Vicomte de Bragelonne ou les Frères corses, ça ne vaut pas Les trois mousquetaires ou Le comte de Monte Cristo, non, La Curée ou La faute de l’Abbé Mouret, ça ne vaut pas Germinal ou L’assommoir

Et Cigalon, ça n’arrive pas à la cheville du Schpountz ou de Regain ; c’est comme ça !

D’abord par le format : Cigalon est un moyen métrage, qui dure une petite heure et quart, ce qui, même aux normes d’antan est assez bref ; et puis, ça manque de cette qualité particulière qu’avait Pagnol, sans faire mine d’y toucher, d’appeler à son service les grandes questions immortelles (ou qu’on croyait telles : la naissance illégitime, présente dans beaucoup de ses œuvres, de Marius et Angèle à La fille du puisatier et Naïs ; c’est plein de qualités, c’est drôle, c’est amusant, c’est bien joué, mais, toutes choses égales par ailleurs, c’est un peu ce que peuvent être les farces de Molière, Les fourberies de Scapin ou Monsieur de Pourceaugnac par rapport à Tartuffe ou Dom Juan

critique-cigalon-pagnol1Pagnol, qui s’enthousiasmait pour toutes les innovations techniques et qui était aussi un délicieux, subtil, roublard homme d’affaires, avait, émerveillé par le cinéma parlant, créé ses propres studios : pour les rentabiliser, et même simplement les faire fonctionner, il lui fallait tourner ; d’où ce film agréable et drôle, mais qu’on dirait presque alimentaire, si on ne craignait de faire une allusion un peu grosse au sujet de la farce.

Car Cigalon, c’est l’histoire de la comique bataille entre deux restaurants, dans un de ces petits villages de Provence où les fontaines égrènent les heures sur les places ensoleillées… c’est joué, avec un peu d’emphase par Arnaudy, qui a de la rondeur et de la verve, par Henri Poupon, au grand talent protéiforme (c’est le méchant Nicoulin, père de la belle Naïs) et quelques étoiles de moindre grandeur… c’est frais, charmant, drôle comme une saynète aimable, mais ça n’a pas grand chose à voir avec les meilleurs Pagnol

L’édition de la Compagnie méditerranéenne de films est, comme d’habitude, assez onéreuse ; mais elle fait de son mieux, pour la restauration de l’image et les suppléments (notamment une étonnante interviouve de Pagnol) ; en revanche, pour le son, ce n’est pas terrible…

 

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