Grand cru du film noir
Après revisionnage (dans une bonne copie, mais sans chapitrage, ni suppléments, comme nous a hélas habitués René Château), je suis conforté dans l’excellent souvenir que je conservais de ce Sautet inhabituel (ou, plutôt, issu d’une première manière du cinéaste).
C’est vrai, la course à l’abîme, le désespoir noir, les portes qui se ferment toutes une à une, la certitude de n’en plus pouvoir ouvrir aucune et surtout le sentiment que si même on y parvenait, ça ne servirait à rien, tant on est fait comme un rat, voilà qui n’était pas courant dans le film de gangsters français, et qui lui donne une dimension très forte et très universelle.
Ventura est magnifique ; on sent monter avec une force déferlante ce qui sera le talent, la force dans les années qui suivront, de ce puissant acteur : il a tout : la sauvagerie du meurtrier, l’épaisseur du chef de famille, l’écœurement lucide de l’ami abandonné, la lassitude immense et désespérée.
Mon seul bémol est peut-être qu’on oublie un peu trop vite que c’est une bête sauvage qui porte la mort en lui et avec lui ; devant le père attentif, que reste-t-il des douaniers assassinés (qui ne sont sûrement pas les premiers de son palmarès !), de l’épouse et de l’ami abattus de son fait ? Ma critique – vénielle – n’est pas moraliste : la puissance du film aurait encore été plus grande si l’on avait senti tout au long qu’Abel Davos est un sanguinaire ; c’est bien, en plus, de comprendre que les monstres ne le sont pas à tous bout de champ et avec tout le monde…