Méfiez-vous des blondes (et des brunes et des rousses, etc.)
Ce n’est pas aussi mauvais, loin de là, que je me l’imaginais ; c’est même quelquefois assez plaisant, sans doute grâce à la qualité structurelle de la pièce de théâtre dont le film est adapté, qui a donné lieu à une première adaptation réalisée par René Guissart en 1935, avec Fernand Gravey à la place de Fernandel. Grâce aussi à la belle ouvrage habituelle aux films d’antan, leurs seconds (troisièmes, quatrièmes) rôles qui les irriguent et les illuminent. On ne dira jamais assez que ce qui fait l’épaisseur de la distribution d’un film, c’est moins, bien moins les vedettes que les artisans de l’ombre qui animent, au second plan, la pellicule.
C’est bien aussi parce que c’est animé d’une joyeuse et amusante immoralité, où la fidélité conjugale, la rectitude des relations, la simple logique des situations n’ont plus aucune importance. Il est admis d’emblée que Marius – dit Mario – (Fernandel) est doté d’un étrange pouvoir sensuel qui lui permet de troubler (et au delà) les dames qui lui confient leur chevelure, leur crâne et, finalement, leur corps : qu’on le veuille ou non, un fluide passe et chacune ressent un émoi trouble et dévastateur.
Marius/Mario (Fernandel, donc) après avoir tondu des moutons, tressé les queux de juments, toiletté des caniches et embelli des poupées en Provence, monte à Paris où, tout de suite il exalte les sens des dames et jeunes filles qui fréquentent le salon de coiffure où il est employé. Il est marié avec l’amour de sa vie, Aline (Blanchette Brunoy), dont il est épris de longue date, mais il papillonne avec volupté au milieu de ses clientes, toutes rendues sensitives par la manière dont ses mains, ses doigts, son fluide font vibrer innocemment leurs sensibilités.
Pas si innocemment que ça, d’ailleurs ; et c’est un des bons aspects du film que de montrer un monde réel, où l’artiste capillaire est peu à peu poussé, grâce à son succès, vers des folies transgressives. Son doigté révolutionne tant et tant les épidermes qu’il parvient à séduire le Tout Paris par une suite de hasards bienheureux. Dans ce monde de faux-semblants où les allusions graveleuses, les mots à double sens, les à-peu-près coquins font florès, Mario étend peu à peu une sorte d’empire sur des femmes que son talent rajeunit.
Il est donc naturellement conduit à oublier les sages lignes de conduite traditionnelles et à se griser avec des pas grand chose qui se donnent au plus offrant, notamment avec Edmonde (Arlette Poirier), femme entretenue de l’industriel Brochant (Georges Lannes).
Comment Mario parviendra à mettre dans sa poche Geneviève (Renée Devillers), la femme de Brochant, sa fille Denise (Françoise Soulié) et bien d’autres dépasse ma capacité à narrer une pièce de boulevard transposée à l’écran mais suffisamment bien fichue pour qu’on y prenne un certain intérêt. Je gage que Fernand Gravey, dans la version antérieure, était davantage convaincant que Fernandel dans le rôle d’un séducteur d’abord instinctif, puis de plus en plus conscient de l’influence qu’il exerce sur les femmes ; mais ça avance tout de même assez bien grâce à la solidité de l’intrigue et aux rebondissements assez amusants qu’elle suscite.
Loin de moi l’idée de recommander aux bizarres qui me lisent la découverte de Coiffeur pour dames ; mais par rapport aux productions courantes et éculées du 21ème siècle, ça tient assez remarquablement la route et ça ne scandalise pas de vulgarité ; c’est déjà ça.