Au dessous de zéro.
Jusqu’à présent, je ne connaissais de Raoul Ruiz que Le temps retrouvé, ratage pathétique de l’adaptation de la dernière partie de La recherche du temps perdu, pauvre salmigondis de vedettes où le cher Marcel Proust aurait eu bien du mal à trouver ne serait-ce qu’un début de commencement d’esquisse de son génie (film nommé aux Césars dans la catégorie Meilleurs costumes : quelle claque pour le réalisateur et les interprètes !). Ah ! Et puis j’ai vu à la télévision douze minutes des Âmes fortes ; douze minutes parce que je n’avais pu supporter plus longtemps la trahison méprisable, à l’aide du top model Laetitia Casta, d’un des plus forts et des plus complexes romans de Jean Giono. J’ai lu par ailleurs que Ruiz avait aussi adapté, d’après Balzac La maison Nucingen : je me disais que le monsieur s’était donc fait un petit périmètre pseudo-littéraire, amplement subventionné par le CNC et inondé d’argent par les télévisions et les sociétés d’investissement qui permettent de défiscaliser.
C’est que j’ignorais que l’exilé Chilien avait d’autres ambitions et qu’il prétendait au statut d’auteur ! D’où cette horrible chose qu’est Comédie de l’innocence, où, tel un Titan, j’ai dû lutter contre moi-même à plusieurs reprises pour ne pas arrêter, dans un grand mouvement d’exaspération, le passage du DVD sur mon écran. Dans ces moments-là, je me demande toujours si je dois m’admirer pour l’héroïsme avec quoi je regarde jusqu’au bout de pareilles conneries, ou me mépriser pour avoir perdu tant de temps de ma vie à me scandaliser devant une nullité sans avoir le courage de l’interrompre.
Sentencieux, prétentieux, verbeux, chichiteux, le film prétend tutoyer un genre cinématographique où les réussites sont rarissimes : l’onirisme. Si l’on n’est pas Luis Bunuel ou David Lynch, ça tombe généralement à plat avec plein de clins d’œil de connivence adressés au spectateur pour lui faire signe aux bons moments. Toujours est-il que Comédie de l’innocence sonne terriblement faux et ne parvient pas un instant à intéresser le spectateur à une histoire alambiquée de faux-semblants, de folie – réelle ou simulée -, de mort d’enfant, de hasards improbables, de relation complice frère/sœur et tout un bataclan pénible.
Ruiz emploie des trucs de réalisation qui devaient être très chics dans les écoles de cinéma des années 60 : gros plans sur le macadam mouillé, sur la rivière qui coule, la pluie qui ruisselle sur les carreaux, longs panoramiques énigmatiques sur des jardins parisiens l’hiver. En plus images volontairement floues insérées ici et là, musique stridente exaspérante…
On comprend bien que, égérie du cinéma d’auteur (souvent, donc, le plus ennuyeux qui se puisse), Jeanne Balibar au visage cabossé se soit prêtée à cette fantaisie indigeste. Mais Isabelle Huppert, si grande comédienne… pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle est allée fiche dans cette fausseté exemplaire ? Mystère…