Il n’est sans doute pas abusif d’écrire que si le malheureux André Chénier n’avait pas été guillotiné le 25 juillet 1794, à l’âge de 31 ans, il n’intéresserait plus guère que les spécialistes universitaires de la poésie pré-romantique. Et il n’est pas plus excessif de penser que si Robert Brasillach n’avait pas été fusillé le 6 février 1945, à 35 ans, on n’en parlerait plus du tout, alors que ce doux jeune homme élégiaque comme l’avait baptisé je ne sais plus qui, auteur avec son beau-frère d’une excellente Histoire du cinéma, ne manquait pas de talent.
Je l’ai toujours trouvé, pour ma part, meilleur poète (Poèmes de Fresnes), meilleur mémorialiste (Notre avant-guerre), meilleur critique (Présence de Virgile) que romancier de premier plan, bien qu’il fût doté d’un style étincelant. Toujours est-il que son récit le plus célèbre, paru en 1937, a été adapté pour la deuxième chaîne de télévision (qu’on appelait alors Antenne 2) en 1980 et en deux épisodes par un directeur de la photo alors assez notoire, Alain Levent. Les rôles principaux étaient tenus par Patrick Bouchitey et Thérèse Liotard.
Stupéfiant, n’est-ce pas ?
Ne nous abusons pas : ce que je trouve stupéfiant, ce n’est pas qu’on ait jugé intelligent d’occuper pendant deux soirées les téléspectateurs avec un récit bien ficelé et deux acteurs qui commençaient à avoir quelque notoriété. Patrick Bouchitey avait marqué, en 1976, dans La meilleure façon de marcher de Claude Miller avec un rôle assez ambigu aux côtés de Patrick Dewaere. Thérèse Liotard avait tenu le premier rôle, avec Valérie Mairesse dans L’une chante, l’autre pas d’Agnès Varda en 1977. Le premier film cité s’aventurait sur des zones incertaines de la sexualité, le second sur la question de l’avortement. En d’autres termes, c’étaient là plutôt des films que, faute de mieux, on pourrait qualifier de progressistes.
Bon, vous nous la baillez belle avec votre érudition issue de votre consultation assidue de Wikipédia, allez-vous me dire. Certes. Mais j’en viens au but.
Robert Brasillach a été fusillé en raison de ses positions collaborationnistes et antisémites. Sans doute emporté par une sorte de logique des systèmes, il a écrit des articles honteux, épouvantables, même. Et si un très grand nombre de personnalités (Paul Valéry, Paul Claudel, François Mauriac, Albert Camus, Marcel Aymé, Jean Cocteau, Colette, Jean Anouilh, Jean-Louis Barrault et bien d’autres) a demandé sa grâce, le général de Gaulle a répondu Le talent est un titre de responsabilité. On ne peut lui donner tort sur ce point.
N’empêche qu’on voit là combien la liberté de pensée a reculé depuis 50 ans : il serait inimaginable aujourd’hui qu’une chaîne de télévision, deux acteurs bancables puissent participer à l’adaptation d’un roman d’un écrivain du Camp du Mal.
Venons en à l’adaptation télévisée. Qui manque bien de la tendresse, de la légèreté, de l’éclat qu’on aurait souhaité à cette histoire douce et triste. Orphelins, les deux cousins René/Bouchitey et Florence/Liotard ont vécu une enfance dorée, lumineuse, paradisiaque dans une île des Baléares, sous la férule douce de leur tante, Espérance (Aline Bertrand). Les deux enfants rêvent leur vie, n’imaginent pas qu’elle puisse être différente de ce qu’ils connaissent, les courses sur la plage, les cavernes sous-marines, la douceur des ciels, le parfum des collines. Comme de juste, les enfants grandissent et se marient.
Survient alors la routine de la vie, ce qu’on peut appeler la maturité ; ce qui fait oublier le monde enchanté de la beauté de l’enfance. On sait bien que le choc du rêve et de la réalité abîme toujours par sa trivialité les plus belles illusions. Et naturellement c’est ce qui survient.
Tout cela est malheureusement un peu mièvre, un peu pâle. Les acteurs principaux sont parfois effacés mais, somme toute, plutôt convaincants. L’est moins le personnage de Matricante, leur précepteur, interprété par un Jean Benguigui outrancier. Cela dit, les décors sont agréables, les costumes superbes ; les seconds rôles bien choisis. Exemple appliqué, sans génie mais sans défauts de ce que pouvait produire une télévision encore libre, loin des ukases du wokisme…