Sans rythme, ni queue, ni tête, ni quoi que ce soit.
En regardant l’affiche de Comment voler un million de dollars on se dit qu’on va assister à un de ces films où, jadis, Hollywood rendait hommage à Paris et, un peu complexée par son inurbanité, lui reconnaissait le statut de capitale du monde civilisé et de centre absolu de la gaieté, de la légèreté, de la sociabilité et de bien d’autres vertus ensorcelantes. Tourné par l’honnête artisan William Wyler, tout à fait capable de mettre en scène avec talent les gracieuses et un peu tristes Vacances romaines en 1953, le solide, massif, intelligent western Les Grands espaces en 1958 et la lourde brillante machine Ben-Hur en 1960, il était, en 1966, tout à fait en fin de carrière mais on lui pouvait supposer, précisément, de la patte et un savoir-faire renforcé.
Aussi une distribution presque exclusivement française avec de bons artisans, de solides seconds rôles, comme Jacques Marin (qui a tout de même tourné avec de sacrés bonhommes, Stanley Donen, John Huston, John Schlesinger), Jacques Ramade, Pierre Mirat et le cher Marcel Dalio mais aussi des vedettes un peu mûres, en pré-retraite si l’on peut dire, comme Fernand Gravey ou le merveilleux Charles Boyer. Bien agréable de retrouver tous ces visages au détour des séquences.
Et naturellement, évidemment, forcément, la plus belle actrice, diaphane, irréelle, élégante de ces années heureuses, celle qui symbolise sans doute le mieux le monde sans vrais soucis de ce que nous appelons, en France, les Trente glorieuses, qui furent des vraies années de progrès et d’enjouement dans le monde, bien que nous ayons joué à nous faire peur en les baptisant aussi décennies de la Guerre froide. Qui ça ? Naturellement, dans toute sa grâce, habillée par Hubert de Givenchy, primesautière, mutine, capricante, naïve et roublarde à la fois, Audrey Hepburn, dont on ne se lasse jamais.
Dont on ne se lasse jamais, mais qui peut jouer dans un film sans structure ni pertinence, doté d’un scénario à la fois très compliqué et très nigaud, qui se veut fantaisiste et spirituel, mais qui est presque d’emblée profondément ennuyeux. Que cette histoire de trafic d’œuvres d’art, fondée sur quelque chose comme une dynastie de faussaires talentueux, dont Nicole Bonnet (Audrey Hepburn) est en quelque sorte l’héritière, dynastie qui est dans le collimateur de Simon Dermott (Peter O’Toole), expert en sécurité des musées et traqueur d’impostures artistiques soit farfelue et artificielle n’est pas en soi un défaut dirimant : la vraisemblance et la rigueur ne sont pas denrées nécessaires dans le genre. Mais il faut que la légèreté cavalcade, saute de pic en pic, fasse oublier au spectateur son côté bulle de savon si fragile. Et Comment voler un million de dollars ne décolle absolument jamais.
On suit en s’ennuyant passablement des péripéties rebattues et prévisibles, plutôt lourdement comptées, en s’étonnant que le cinéaste subtil de Vacances romaines paraisse là si emprunté, chaussé de bottes si lourdement glaiseuses ; le malheur est que tout le monde paraît frappé de cette léthargie maligne, de cette somnolence qui donne l’impression que chacun, le soir venu, après le tournage, regagnait son hôtel en bâillant et en comptant les jours qui demeuraient avant la fin de son contrat.
C’est triste pour un film, n’est-ce pas ?