Décidément, dans ses Contes des quatre saisons, Rohmer n’est plus le Rohmer inspiré de ses belles années, l’analyste incisif et si miraculeusement juste des égarements du cœur et de l’esprit et me semble tourner en rond dans des histoires artificielles, fausses, ennuyeuses qui ressemblent, sans doute, comme deux gouttes d’eau à celles des Contes moraux et des Comédies et proverbes, mais n’en trouvent jamais la magie et la subtilité. Je crains, hélas, qu’à l’heureuse exception de L’Anglaise et le Duc (qui était bien, mais pas très bien et dont la qualité du sujet palliait d’autres défauts), je crains que le réalisateur n’ait plus tourné grand chose d’intéressant (et encore !) depuis L’ami de mon amie qui date tout de même de 1987.
Par rapport à Conte de printemps et à Conte d’été, Conte d’hiver atteint un sommet de vacuité et peut-être aussi d’ennui.
Dans un paradoxe qui se veut funambulesque, mais qui n’est que vain, le film commence, donc, en plein été, sur une de ces plages atlantiques familières à Rohmer, par l’invraisemblable et niaise bourde que commet Félicie, jeune coiffeuse de banlieue (Charlotte Véry) qui, à l’heure de la fin des vacances, donne une mauvaise adresse à Charles (Frédéric van den Driessche), son amoureux qu’elle a rencontré quelques jours auparavant, dont elle ne connaît pas même le nom de famille, mais qui lui a fait un bébé (évidemment sans que l’un et l’autre le sachent !) avant de partir pour les Amériques où il envisage d’ouvrir un restaurant…
Cinq ans après, et au début de l’hiver, Félicie vit toujours à Levallois, se partage entre sa mère, sa fille et deux hommes fort différents, mais rêve toujours à Charles. Après quelques péripéties qui sont plus verbeuses que subtiles, mais qui permettent aussi de découvrir l’ennui glacé d’un Nevers hivernal, Félicie retrouve par hasard Charles dans un autobus et hop ! roulez Jeunesse ! voilà que ça repart comme ça n’aurait jamais dû s’arrêter.
Je veux bien qu’il y ait toutes les fantasmagories possibles dans les choses de l’amour et, souvent bon public, surtout avec les auteurs que j’aime, j’admets que les coups de pouce à la réalité soient même des coups d’épaule ; mais il y a des limites à ne pas dépasser, y compris dans le genre, qui sont, là, complètement oubliées…
D’abord, je ne crois pas un instant que Félicie, inculte et dotée d’un physique gentillet mais en rien éclatant, puisse être autre chose qu’une passade insignifiante pour un garçon avide d’aventures, séduisant comme Charles l’est, et l’est vraiment. Puis j’imagine encore moins que, cinq ans après leur brève rencontre, et après quelques heures de redécouverte seulement, Charles soit prêt à s’engager pour la vie avec Félicie, bien qu’il soit, fort justement, ému par sa paternité. Enfin, le lapsus idiot qui scelle le destin des deux amants (l’adresse donnée par Félicie mentionne Levallois et non Courbevoie, deux communes qui, au demeurant, sont situées dans le département des Hauts-de-Seine et ne sont séparées que par le cours du fleuve !), ce lapsus, qui est le ressort du film est terriblement capillotracté et assez bêta.
Me reste à voir Conte d’automne, dont je n’attends plus grand chose ; mais un de ces jours, je me replongerai avec délices dans Le genou de Claire ou dans Ma nuit chez Maud…