Le ressassement du vaudeville.
J’ai trouvé vraiment pénible ce film qui m’a semblé interminable alors qu’il ne dure que 93 minutes : c’est que, lorsque tout est convenu et que les péripéties se devinent longuement à l’avance, on se prend toujours à bâiller et à se demander quand exactement surviendra ce que l’on a de longue date deviné.
Clochards et cinéma… c’est ainsi que s’intitule un coffret d’apparence séduisant qui comprend aussi Rothchild, qui date de 1934 et qui a l’avantage de présenter une facette du grand talent d’Harry Baur et La zone, qui est un reportage. Hors celui-ci je ne vois pas très bien ce qui dans ces films peut vraiment évoquer ceux qu’on appelle désormais les SDF, tant le fil est ténu et le pari acrobatique de les adjoindre à des intrigues compliquées. Dans le genre – limité mais pittoresque – de l’illustration, sinon de la célébration de la vie au grand air, il est préférable de revoir Archimède le clochard ou l’assez réussie Une époque formidable de Gérard Jugnot.
Et Boudu sauvé des eaux va-t-on me dire… Il y aurait vaguement, vaguement un peu de ça, dans Coq en pâte, d’un clodo qui s’installe dans une maison bourgeoise et y révolutionne cœurs et corps, mais tellement affadi, tellement mièvre, tellement loin de la férocité anarchisante, impertinente, cynique du film de Jean Renoir que l’on est presque gêné d’en invoquer le souvenir : on n’est pas dans la fable insolente, mais dans le vaudeville le plus rebattu.
Et c’est d’ailleurs filmé comme au théâtre, avec des prises de vue frontales et des séquences qui s’accumulent, comme des scènes entre cour et jardin où les protagonistes déclament leur petite tirade et échangent leurs répliques à forts sous-entendus graveleux. La tentation du vaudeville est toujours là, vaudeville qui fonctionne toujours mieux sous les tempêtes des rires contagieux qui descendent des balcons et tombent à plat lorsqu’il est présenté avec la distance de l’écran.
Ce n’est pas que les acteurs soient mauvais ; en tout cas pas tous : Maurice Escande, qui fut une des grandes gloires de la Comédie française (en même temps que Louis Seigner, qui joue également dans Coq en pâte), Escande, donc, est même très bien, en grand avocat prospère et jouisseur, dépassé par les événements. Jacqueline Gauthier, écervelée à tropisme bienveillant qui se navre que les clochards n’aient pas le bel appartement bourgeois et la domesticité dont elle dispose, est assez jolie, avec un faux air de sous-Danielle Darrieux ; Jeanne Fusier-Gir, bréhaigne salutiste vouée à la rédemption des marginaux et des prostituées par une infaillible purification à base de cure de lait est amusante. Et Marthe Mercadier piquante en soubrette excitée… Mais Pierre Destailles, qui a interprété des personnages fantaisistes pendant une large décennie dans des films la plupart du temps fort médiocres, aurait été mieux inspiré à se cantonner dans la chanson, et ce petit bijou de Tout ça parce qu’au bois d’Chaville qu’il a immortalisé… En faux clochard et amoureux triomphant il est assez pénible.
Du boulevard filmé, donc ; du cinéma, c’est beaucoup dire…