La gloire des bistrots.
Je suppose que c’est en perspective de l’ouverture (demain) de la Coupe du Monde de football au Brésil qu’une chaîne de télévision a passé Coup de tête avant-hier. J’avais déjà vu le film deux ou trois fois, sans qu’il me marque particulièrement mais – allez savoir pourquoi ! – je l’ai regardé avant-hier avec des yeux presque neufs et de plus en plus enchantés.
Enchantés n’est d’ailleurs pas tout à fait le mot exact. Il serait préférable d’écrire à la fois goguenards et jubilatoires, tant on se régale du début à la fin dans l’exploration de la beaufitude provinciale et du monde désespérant et grouillant de vulgarité (du bas en haut de l’échelle) du football. Je précise, dans une apparente contradiction, que je suis moi-même fort amateur de ce sport, ne rate aucun des matches du glorieux Olympique de Marseille (dont je suis supporteur inconditionnel) retransmis sur Canal+, à quoi je ne suis abonné que pour ça. Tout homme est une guerre civile a écrit je ne sais plus qui.
Mais bon ; le football est une chose, les joueurs (je ne me fais aucune illusion sur le compte de ces crétins surpayés) et les supporteurs (le degré zéro de la lucidité minimale) en sont une autre. On peut se rappeler utilement un des rares films intéressants (mais aussi foutraque que d’habitude) de Jean-Pierre Mocky, À mort l’arbitre, où un groupe de brutes avinées mené par Michel Serrault essayait de faire un sort à Eddy Mitchell, arbitre d’une rencontre perdue par leur club favori dans le cadre inquiétant des architectures dantesques de Ricardo Bofill à Marne-la-Vallée.
Grand acteur, Serrault, grand acteur ; et grand acteur aussi Patrick Dewaere, qui avait une sorte de légèreté, de grâce innée qui lui permettait de survoler ses rôles tout en les marquant de façon ineffaçable, de pouvoir interpréter les scènes les plus improbables en leur laissant de la crédibilité (je pense à celle de son départ, en simple slip de l’usine dont il vient d’être chassé).
On se demande un peu comment Coup de tête a pu être tourné sans s’attirer foudres et procès de ceux que le film caricaturait avec férocité. Ce football qui embrase tout un patelin, c’est évidemment celui de l’équipe d’Auxerre à ses débuts, et si l’emblématique Guy Roux n’y est pas spécifiquement dépeint, le Président du club, Sivardière, idéalement interprété par Jean Bouise (qu’on n’a jamais vu mauvais, ni même médiocre, il me semble) est évidemment Gérard Bourgoin, le roi de la volaille en France… et ce qui est extraordinaire, c’est que le nom primitif de l’empire gallinacé, La Chaillotine figure bien sur les maillots de la vaillante et fictive équipe de Trincamp. Bourgoin, qui était un malin, a dû penser que, même détestable, une publicité est toujours une bonne chose…
Jean-jacques Annaud réalise un petit bijou de férocité mauvaise ; on peut se demander pourquoi il n’a pas essayé de reproduire un film de cette veine, se dirigeant vers un cinéma de grand spectacle avec un réel succès, d’ailleurs, même s’il semble avoir depuis plusieurs années perdu la main.