La crasse arrive dans le western.
J’enfonce évidemment des portes ouvertes en indiquant que dès son premier film notable, Sam Peckinpah marque déjà sa fascination pour la décadence du mythique Ouest étasunien, démythification entraînée par le passage du temps et l’irruption de la modernité, mais aussi, évidemment démystification de ses valeurs, réelles ou prétendues. Tout cela culminera dans La horde sauvage et dans Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia !, les mitrailleuses et les avions faisant irruption dans un paysage jusqu’alors dominé par le Colt, la Winchester et le cheval.
Que Coups de feu dans la sierra, d’ailleurs, commence par la scène incongrue où Steve Judd (Joel McCréa), tout de rectitude morale et de fidélité aux traditions presque chevaleresques, se voit, comme une survivance du passé, repoussé de l’espace par une course folle dominée par un dromadaire et dont ferme la marche une voiture automobile va tout à fait dans ce sens. Et la scène suivante, c’est celle des retrouvailles entre Steve et son vieux copain Gil Westrum (Randolph Scott), grimé en Buffalo Bill, hommage dérisoire aux figures du Far-West d’antan…
De toute façon, dans Coups de feu dans la sierra, rien n’est plus comme avant, les références bibliques ne sont employées que par ceux qui vont se faire dézinguer, le fermier Knudsen (R.G. Armstrong ) et Steve Judd, la jeune héroïne Elsa (Mariette Hartley) serait volontiers mise en commun, dès son mariage avec Billy Hammond (James Drury) par les quatre frères du jeune époux et même la mine d’or s’épuise et, au lieu de rapporter les 250 000 $ prévus n’en offre qu’à peine plus de 10 000…
Au fait, Sam Peckinpah, quelques années avant Sergio Leone, de qui on date généralement l’irruption sur les écrans des mentons râpeux et des ponchos luisants de crasse commence là à présenter des personnages qui vivent dans la saleté et la puanteur. L’arrivée de la petite troupe menée par Judd/McCréa au village minier de Coarsegold est bien claire : un seau d’immondices est balancé dans les pattes des chevaux et tout autour, il n’y a plus la haute stature ses sapins et des mélèzes, mais une sorte de terre ravagée, abîmée, boursoufflée de sanies…
La trame de l’intrigue est assez classique, un peu trop semblable à celle de nombre des westerns plus classiques ; comme dans Rio Bravo, à côté de la belle figure du héros positif (John Wayne/Joel McCrea), il y a un adjoint incertain, alcoolique ici (Dean Martin), indélicat là (Randolph Scott) et un pied-tendre qui va apprendre la vie et hériter les valeurs du héros (Ricky Nelson/Ron Starr). On demeure donc un peu trop dans le schéma habituel alors qu’on aurait pu aller davantage gratter du côté des immondes frères Hammond, aussi répugnants que le sont les familles horrifiques et dégénérées de Massacre à la tronçonneuse, La colline a des yeux ou The Devil’s Rejects…
Contrairement à d’autres amateurs, je trouve que Coups de feu dans la sierra est plutôt une esquisse, une ébauche de ce que seront, quelques années plus tard, les grands films de Peckinpah ; mais qu’il vaut d’être vu en soi, indépendamment de ce qu’on sait être la carrière d’un grand dynamiteur du cinéma mondial.