Cours privé

Une étrange affaire.

Le Cours Ketti est une de ces institutions privées sans doute hors contrat qu’on appelait jadis des boîtes à bachot ; tout au moins lorsque l’examen du baccalauréat avait à la fois une certaine difficulté et une certaine importance. Des familles aisées y plaçaient leurs rejetons peu passionnés par l’étude ou simplement s’en débarrassaient pour être tranquilles. En remontant quelques décennies, ça donne Les disparus de Saint AgilLes anciens de Saint Loup ou Les diaboliques ; mais tous ces films présentent des internats et, l’époque rendant la chose évidente, des internats de garçons. Cours privé, qui date de 1986, modernise le cadre : on est à Neuilly, l’établissement est un externat mixte.

Mais les professeurs ont encore un peu de cette dégaine, cette allure, ce côté incertain des films que j’ai cités plus haut ; ainsi le professeur de philosophie, Bonnier (Jacques Boudet), désinvolte, las, un peu minable ; un peu moins le professeur de mathématiques Laurent (Xavier Deluc) qui forme un tendre couple avec Patricia (Sylvia Zerbib). D’autres professeurs ont moins de personnalité ; mais tout le monde se retrouve chaque jour au déjeuner pris en commun sous la férule autoritaire, un peu malsaine, un peu gluante du directeur, Bruno Ketti (Michel Aumont). Et presque tous les regards – des professeurs, mais aussi des élèves – sont tournés vers Jeanne Kern (Élisabeth Bourgine), nouveau professeur d’Histoire.

On ne sait pas trop qui est Jeanne qui pourrait presque être une élève du Cours. Elle ne fréquente personne, sauf un peu son collègue Laurent/Deluc pour boire un café. Elle a des parents aimants (Pierre Vernier et Rosine Rochette) raconte à tous ceux-là qu’elle sort le soir avec Dominique… qui est en fait un élève à qui elle donne des cours particuliers. Mais elle est instable, secrète, inquiète. Tu vas finir l’année, cette fois ? lui demande sa mère.

Et quand nous la retrouvons, dans son appartement absolument blanc, avec de rares tâches rouges, elle est nue et donne à son corps une attention absolue et tout à la fois distante. Et elle ne cesse d’écouter La ballad of Lucy Jordan obsédante chanson de Marianne Faithfull qui décrit une entrée douce dans la folie,

Au collège, des lettres anonymes emplissent désormais l’espace ; des lettres qui accusent Jeanne de saphisme ; et des photos d’orgie où le visage de la principale protagoniste a été découpé mais dont le corps pourrait bien être précisément celui de Jeanne. Comme chaque jour un tour d’écrou est donné, le malaise grandit ; d’autant qu’il n’est pas bien compliqué de comprendre que Jeanne est passionnément désirée ; par Laurent, tout de même bien tenu par l’amour qu’il porte à sa femme, par Ketti, surtout qui n’a pas cette vergogne-là et qui crève d’envie.

Car Jeanne a subi le désir des hommes depuis son adolescence ; et un jour y a cédé ; et se sent depuis lors salie, souillée, abîmée, pleine de haine pour la peau, l’odeur, la sueur des hommes.

Il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour comprendre le déroulement pervers du récit, surtout lorsque la jeune Zanon (Emmanuelle Seigner), naguère élève de Jeanne dans sa précédente boîte vient s’inscrire chez Ketti pour la rejoindre et tente de se suicider parce qu’elle est repoussée.

En fait l’intérêt de Cours privé n’est pas du côté du scénario, un peu glauque et souvent plein d’épisodes inutiles : il l’est par la parfaite, totale adéquation du personnage principal avec son interprète. Le visage androgyne et la perfection du corps d’Élisabeth Bourgine étouffent d’ailleurs tout le reste ; malgré la qualité de jeu de Michel Aumont, on ne voit qu’elle et le film n’existerait pas sans elle.

Ce qui n’est pas, d’ailleurs, forcément un cadeau. Espoir du cinéma français (La 7ème cible de Claude Pinoteau avec Lino Ventura par exemple) elle a été dévorée d’une certaine façon par Jeanne Kern et sa carrière s’est presque éteinte après le film ; notons pourtant une très vénéneuse Noyade interdite du même Pierre Granier-Deferre juste après Cours privé. N’empêche que son sort m’a fait penser à celui de Corinne Marchand, mêmement engloutie par Cléo de 5 à 7.

Il ne fait pas toujours bon d’incarner si parfaitement un personnage…

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