Ça fait tout de même beaucoup…
Je ne suis pas vraiment entré dans ce film, dont je reconnais pourtant les nombreuses qualités…
En premier lieu le talent qu’a Jacques Audiard d’aller taper là où ça fait le plus mal, dans des régions ombreuses et délaissées de l’âme humaine, et avec des personnages construits et misérablement proches de nos solitudes.
Aussi la capacité de filmer dans une brume assez glauque, dans une lumière un peu salie, vers des détails crasseux, triviaux, quotidiens. On respire mal, la boue ressemble à la vraie boue, la poussière se respire à plein nez.
Et puis des acteurs formidables. Marion Cotillard est superbe en Stéphanie, dresseuse d’orques amputée, qu’elle soit glorieuse ou abimée. Mais son rôle était peut-être moins difficile à tenir que celui de Matthias Schoenaerts, Ali, brute boxante, doux primate immature, attachant, exaspérant, lamentable, limité. Ce jeune acteur est impeccable, bluffant, même… Un des talents d’Audiard est peut-être aussi d’aller chercher des acteurs à part, comme Tahar Rahim dans Un prophète et de les révéler à l’attention.
Très bons seconds rôles aussi, en premier lieu Corinne Masiero, qui joue le rôle ingrat de la sœur fatiguée d’Ali, qui porte sur son visage et son corps las toute la misère de la précarité. Et aussi Bouli Lanners, Martial, qui pose des caméras de surveillance pour espionner les employés de supermarchés et vit aussi de paris sur les combats clandestins de full contact.
Tout ça, c’est très bien, même si, pour tout ce qui touche à la violence sociale, il y a plus et mieux chez Lucas Belvaux.
Mais, dans le récit, il y en a tout de même un peu beaucoup, un peu trop. Je sais bien qu’Audiard a voulu mettre en scène un mélodrame et que ce genre là ne doit pas être avare en sensations, en émotions et en sentiments contrastés. L’invraisemblance de l’histoire de la belle dresseuse d’orques qui doit être amputée des deux jambes après un accident du travail, et qui noue une drôle d’histoire avec un type fruste, qui n’a pas accès au langage et à peine aux sentiments, qui ne sait pas dire à ceux qu’il aime qu’il les aime et, à dire vrai, n’imagine pas même qu’on puisse aimer n’est pas, en soi, forcément gênante : c’est la loi du genre. Pas davantage les aventures du petit garçon d’Ali, à la fois négligé, battu et adoré.
Mais alors qu’il ne survive pas à la noyade ! Je sais bien que, dans le mélodrame, le bien doit triompher à la fin, et les amoureux se réunir, sous le regard tendre des enfants. Mais il y a des fois où il faut déroger.
Gratter jusqu’à l’os, en quelque sorte…