Rien ne vaut la vierge fraîche.
Dracula et les femmes est d’un niveau extrêmement honorable et, malgré le changement de réalisateur, Freddie Francis remplaçant Terence Fisher, parvient à satisfaire agréablement l’amateur des créatures de la nuit. Le film, de fait, accentue la dimension érotique du mythe et montre clairement l’attraction charnelle que le Comte exerce sur les femmes qu’il approche, que ce soient les plus libérées, les plus expérimentées, l’opulente servante d’auberge Zena (Barbara Ewing) ou les vierges les plus innocentes – ou presque -, Maria (Veronica Carlson) nièce de l’évêque de Kleinneberg. L’une et l’autre, dès que la haute silhouette apparaît, sont comme sidérées de désir et se donnent sans la moindre hésitation. Voilà qui est bien conforme à la nature profonde des choses.
À la fin de Dracula prince des ténèbres, nous avions donc laissé notre vieux camarade immobilisé sous la glace du torrent sauvage qui cavalcade au pied de son château. Il faut penser que la région jouit d’un climat particulièrement rigoureux puisque, quelques années plus tard, les eaux sont toujours gelées et le cadavre n’a pas bougé d’un pouce. Mais les habituels villageois renfrognés dans la taverne enfumée, sans doute empuantie par des montagnes de gousses d’ail, sont si durablement épouvantés qu’ils ne leur viendrait pour rien au monde le courage d’aller vérifier. Ils n’ont d’ailleurs pas tout à fait tort car, autour d’eux les maléfices rôdent ; ainsi l’innocent du village, qui se trouve en être aussi le bedeau, découvre-t-il, attachée au battant de la cloche de l’église, une jeune morte toute sanguinolente. (Au fait, j’y songe, il n’est pas impossible que la macabre découverte ait eu lieu avant que Dracula ait été éliminé dans l‘opus précédent, ce qui rend le scénario plus cohérent).
L’évêque de Kleinneberg, qui effectue une tournée pastorale dans son diocèse, saisi par cette terreur persistante, entreprend d’aller définitivement débarrasser la terre de l’envoyé des Enfers ; il s’adjoint le pauvre prêtre du village, à la Foi et au courage incertains qui ne peut accompagner le prélat jusqu’à la porte du château mais qui chute malencontreusement et brise un peu de la glace qui faisait barrage à Dracula ; le sang de la plaie qu’il s’est faite réveille le Vampire.
C’est donc reparti pour un tour, tour qui est d’autant moins déplaisant que Christopher Lee qui avait dans Prince des ténèbres boudé sa participation et n’y prononçait pas un mot, s’est désormais résigné à interpréter le personnage et, sans beaucoup bavarder, sait donner aux créatures qu’il convoite les ordres nécessaires avec l’autorité voulue. Puis, ainsi que dit plus haut, l’extraordinaire ascendant qu’il exerce sur les femelles (comment dire autrement ?) donne au film une certaine puissance et – comment dire ? – de l’épaisseur. Ainsi le Comte qui s’est d’abord repu du sang impur de la servante Zena exige alors qu’elle lui procure la fraîche Maria, plongeant Zena dans la pire jalousie, sentiment qu’elle doit néanmoins abdiquer, contrainte d’obéir à la soif du Maître. Et d’ailleurs le misérable prêtre (Ewan Hooper) dont le sang a permis le retour du monstre est lui aussi plongé dans la plus complète dépendance.
Puis Freddie Francis compose des scènes picturalement très belles, images des alentours de l’orgueilleux château où le Vampire sera à nouveau suscité à la vie puis une nouvelle fois anéanti, atmosphères sataniques (les scènes sur les toits de la ville illuminés par une lune terreuse) ou graduellement inquiétantes (Zena retournant chez elle au clair de lune d’une forêt profonde, apercevant un corbillard immobile puis poursuivie).
Et ce qui m’a bien plus aussi, c’est la frimousse décontenancée de Paul (Barry Andrews), l’amoureux presque fiancé de Maria, étudiant en médecine et esprit fort qui se dit athée, au grand dam de l’évêque oncle de sa promise, mais qui est bien obligé d’admettre que (nouveau raffinement de la grammaire hammerienne), le pieu dans le cœur, si vigoureux qu’il puisse être ne suffit pas : il faut accompagner cette salutaire action par un Pater noster en bonne et due forme.
C’est la revanche du Bon Dieu sur le positivisme scientiste ; tout est bien (jusqu’à la prochaine fois).