Le cinéma du samedi soir
C’est un de ces films comme le cinéma populaire français en produisait à foison, jadis, lorsque le populo ne consultait pas Pariscope (qui n’existait pas) ou Allociné (dont nul n’eût osé imaginé la perspective), mais se rendait en confiance, à la salle du quartier pour s’ennuyer au documentaire, espérer un dessin animé, s’instruire aux Actualités Fox-Moviétone, bouloter un chocolat glacé ou des bonbons Kréma et enfin se détendre devant un film sans prétention.
Gilles Grangier avait déjà fait mieux (La vierge du Rhin, Gas-oil, Le sang à la tête), mais il n’a pas une mauvaise patte, et cet Échec au porteur se laisse fort agréablement voir si l’on ne vient pas lui demander plus qu’il ne peut donner.
En fait, plus qu’un suspense haletant (l’argument est un peu nigaud et tiré par les cheveux), c’est davantage comme une sorte de document d’époque qu’il faut regarder cela ; et même encore plus : comme un documentaire à double entrée.
D’abord, la vie quotidienne de petits employés parisiens ou banlieusards et de leur marmaille. Un de mes contemporains se rappellera-t-il le délicieux livre de Paul Berna, paru dans la collection Rouge et Or, qui s’appelait Le cheval sans tête, récit des jeux et tribulations d’une bande de gosses des fortifs, bande qui jouait sur les terrains vagues encore nombreux, terrains tristouillets, mais où l’on ne trouvait pas encore seringues utilisées et préservatifs usagés ? Il y a de cela, de ce Paris de Doisneau, bruyant et indocile, plein de braves gens, de solidarité entre voisins, de dignité et de bons sentiments.
Puis – et ceci est plus rare – il y a dans Échec au porteur presque un reportage sur les méthodes d’action de la police parisienne à l’heure où elle s’ouvre à la modernité, où les réseaux radio font leur apparition, les quadrillages de terrain s’organisent. Dix ans ont passé depuis l’artisanat de Quai des Orfèvres, et ça se sent très évidemment dans les façons d’agir du Commissaire divisionnaire Varzeilles, interprété par Paul Meurisse, excellent, comme toujours, mais qui ne réalise tout de même pas là le rôle de sa vie et se contente , ce qui n’est déjà pas mal, de justifier son cachet.
C’est d’ailleurs une des caractéristiques du film : la quasi absence de toute vedette : Jeanne Moreau y joue un rôle très secondaire, la belle Simone Renant est à peine mieux traitée (bien loin de son rôle exceptionnel de la photographe lesbienne Dora de Quai des Orfèvres, précisément), Serge Reggiani est rapidement assassiné… Quant à Gert Froebe, chef des malfrats, il est tout de même nettement moins impressionnant que, six ans après dans Goldfinger (c’est peu dire !)
En tout cas, ni on ne s’ennuie, ni on ne regrette de regarder ce témoignage ethnographique, à qui je mettrais plus 3,5 que 3 !