Elle court, elle court, la banlieue…

Ça n’a (presque) pas pris une ride.

Je me suis toujours demandé pourquoi la délicieuse Marthe Keller n’avait pas accompli un parcours plus éclatant, tant son charme lumineux, sa beauté souple, la qualité de son jeu semblaient la promettre à une carrière internationale superbe. L’ami Verdun, qui partage mon goût pour la belle actrice, m’a exposé (sur le fil des Caprices de Marie), que c’est sans doute une certaine dispersion de ses talents qui l’avait un peu confinée à une notoriété modeste. Je crois qu’il a raison ; d’autant que l’enfermement dans le feuilleton télévisé à succès La demoiselle d’Avignon l’a aussi cornérisée (comme on dit au football). N’empêche qu’elle était magnifique dans Le diable par la queue (1968) et, précisément Les caprices de Marie (1970), l’un et l’autre film de Philippe de Broca (qui était alors son compagnon), ou dans Marathon man (1976) de John Schlesinger. Mais depuis lors, dans le bien banal Fedora (1978) de Billy Wilder, elle n’est pas parvenue à hausser le niveau du film.

Revenons aux belles années et à ce film au titre bien choisi, titre qui est demeuré dans les mémoires : Elle court, elle court, la banlieue. La médiocrité du réalisateur, Gérard Pirès, indécent auteur d’une affreuse daube, Fantasia chez les ploucs et de l’abominable introduction de la série pour racailles Taxi, cette médiocrité n’est pas parvenue à gâcher un sujet bien conçu dont la pertinence demeure aujourd’hui intacte, alors que le film a été tourné en 1973, il y a désormais un demi-siècle. Étonnant, non ? comme disait Pierre Desproges. La dimension sociologique du film devrait être observée, scrutée, examinée avec de belles lunettes et il y aurait des volumes à écrire sur les observations de Brigitte Gros, auteur du livre dont est librement adapté le film et (entre parenthèses) sœur de Jean-Jacques Servan-Schreiber, qui fut, en quelque sorte, avant l’heure une sorte d’Emmanuel Macron mais qui n’est pas arrivé à grand chose.

Ce que relate Brigitte Gros et qui n’est pas mal filmé par Gérard Pirès, c’est cette sorte de grande migration engagée par les Parisiens vers la banlieue ; comme aujourd’hui les immeubles offrent des appartements disponibles, les loyers sont plus abordables ; comme aujourd’hui, on s’éloigne de plus en plus du centre de Paris – où les emplois se tiennent – et on est obligé d’utiliser toute une kyrielle de modes de transport qui doivent être empruntés à la minute près, sauf à devoir patienter une heure de plus ; comme d’habitude, tout le monde râle contre l’encombrement des wagons, les retards qui s’accumulent, la tension perpétuelle de ceux (surtout celles, d’ailleurs) qui doivent, dès l’aurore courir placer les enfants chez la nourrice, attraper l’autobus qui conduit à la gare, somnoler dans mes voitures entre les bavards insignifiants, les férus de mots croisés, les tricoteuses et les rares lecteurs.

Je ne serais pas honnête si je ne signalais pas que tous ces mouvements se font hors de toute présence des minorités visibles. Le seul Noir que l’on aperçoit dans le film est le balayeur matinal d’une gare de banlieue où Marlène (Marthe Keller), épuisée, s’est endormie. Je veux bien qu’on me dise, les yeux dans les yeux, que le grand remplacement n’est qu’un fantasme, mais si l’on regarde des films…

Donc un jeune couple sympathique, Bernard (Jacques Higelin, absolument inutile, ennuyeux et tête-à-claques) et Marlène (Marthe Keller, délicieuse donc) qui ne peuvent se loger à Paris, trop onéreux, se résolvent, après plusieurs tentatives malheureuses (et bien narrées) à aller vivre dans une cité arborée d’Aubergenville, au fin fond des Yvelines, vers la Normandie. Adaptation à la vie de la résidence, à ses habitants singuliers : excellente radiographie de la France d’avant : Marcel, CRS autoritaire et grognon (Robert Castel, excellent), et sa femme soumise Simone (Evelyne Istria), Georges (Victor Lanoux, aussi macho qu’il peut être) et sa gambadante femme Marie (Nathalie Courval). Surtout cette gymnastique insensée où le réveil sonne vers 5 heures du matin et où l’on court, l’on court, l’on court.

Cette partie du film est excellente : l’ennui profond de ces banlieues lointaines où, le samedi matin, les hommes entreprennent de laver leurs voitures ; les transports en commun ou, pour ceux qui utilisent leurs voitures, l’immensité profonde des embouteillages ; la fatigue qui enserre les couples et qui peu à peu les dissocie. Mais voilà : on en est à l’heure règlementaire et il faut encore meubler une bonne demi-heure ; il faut donc inventer une petite intrigue insignifiante les deux amoureux se disputent avant de se réconcilier. Évidemment.

N’empêche qu’on aura vu apparaître, au fil des séquences, Jean-Pierre Darras, Claude Piéplu, Daniel Prévost, Jacques Legras, Henri Guybet, Coluche et même Annie Cordy, Alice Sapritch. Et même, même Ginette Leclerc !

Rien que pour ça !

 

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