Marche tranquille vers l’abîme.
Une fois que l’on a dit que l’actrice principale, Pia Degermark, est belle à damner un saint qui apprécierait le genre vaporeux blond suédois (ce n’est pas mon cas mais je sais tout de même reconnaître les belles plantes), que la photographie est réussie et que le sujet est singulier, il me semble qu’on a fait le tour du film de Bo Widerberg. Parce que ressasser jusqu’à la lassitude de belles mélodies de MM. Mozart (Wolgang Amadeus) et Vivaldi (Antonio) qui sont prises, reprises et recommencées sans trêve ni variété tout au long de 90 minutes ne m’a pas paru une bien bonne idée ; si l’on veut présenter dans un film de la musique classique, il faut savoir suivre la piste de Stanley Kubrick qui dans Barry Lyndon utilise les partitions de huit compositeurs.
Quoi d’autre ? Dans la pâle clarté des étés scandinaves aux belles lumières estompées, voilà qu’on découvre deux amants jeunes et beaux. En un instant, de façon un peu elliptique, on comprendra que le comte Sixten Sparre (Thommy Berggren) a brutalement déserté le régiment de dragons où il était lieutenant. Et parallèlement que la funambule Elvira Madigan (Pia Degermark, donc) a abandonné la troupe théâtrale familiale dont elle était la vedette. Mais pour l’instant, dans les herbes folles, les chemins creux, au pied des grands arbres dont les feuilles bruissent, le spectateur n’aperçoit que deux amants charmants, un peu niais peut-être. Insouciants en tout cas, nullement préoccupés de la façon dont ils vivront après que la bourse du comte Sparre se sera vidée. Devant si belles amours, on songe avec sympathie que ce qu’ils ont abandonné est grave, certes, mais que la passion a de grands droits.
À ce moment-là, si l’on est un minimum bon public, on a presque oublié le carton qui ouvre le film et qui a indiqué d’emblée que les deux jeunes gens se sont suicidés le 19 juillet 1889.
J’ai presque songé au Bonheur (1965), le beau film d’Agnès Varda où on ressent la même impression d’inconscience heureuse (et qui se termine presque aussi mal). Les jours heureux passent sans grandes péripéties, sauf lorsque les amants, quand les journaux commencent à parler de leur disparition, doivent changer de résidence. Car tout n’est pas simple. Elvira avait 21 ans, Sixten 34 (ce qui n’est pas visible à l’écran, mais peut passer) ; mais surtout – on l’apprend fortuitement – Sixten en désertant, a abandonné sa femme Henrietta et ses jeunes enfants Christian et Louise. Voilà qui est tout de même beaucoup moins joli, n’est-ce pas ?
La vie, la vie courante, la vie commune, la vie quotidienne se resserre autour d’eux ; presque plus d’argent, des moyens de fortune pour s’en procurer. Et au bout du compte, l’évidence qu’il n’y a pas d’autre issue que le suicide. Qui survient.
Quoi d’autre ? Je conçois facilement que le réalisateur se soit refusé à porter le moindre jugement moral, vertueux sur l’histoire – tout à fait exacte, au demeurant – de cette passion folle, mortifère, aveugle : on croirait voir des enfants inconscients jouer avec la beauté d’un été qui ne décide pas à se jeter dans l’automne. Vont revenir les frimas ; les coups de feu claquent ; arrêt sur l’image ensoleillée d’Elvira qui vient de recevoir la balle et Sixten retourne son arme contre lui.
Le film a connu un certain succès et l’actrice (dont la vie fut assez épouvantable ; se reporter à Wikipédia) a reçu le prix d’interprétation féminine à Cannes en 1967. Je ne l’ai regardé que grâce à l’absolue euphonie du titre, chose qui me prédispose toujours bien, mais qui me fait essuyer de grandes déceptions. Pas de regrets parce qu’il y a une douce sensualité dans le parcours des deux bêtas illuminés. Mais voilà un film à ne pas proposer à une adolescente romantique…