Entretien avec un vampire

Belles images, discours niais.

La mode, depuis quelques années, est de présenter le Vampire comme une pauvre créature portant depuis des siècles sur ses épaules tous les malheurs du monde et les tristesses de sa condition. L’image traditionnelle, celle qui a été formalisée par le génial roman de Bram Stoker le présente, en revanche, comme une émanation de Satan, son avatar sur Terre, directement relié aux perversions les plus noires de l’Enfer. C’est que notre époque est compassionnelle et niaise et ne rêve rien tant que de présenter le plus effroyable des criminels qu’en pauvre victime de la répression sociale, une sorte de malheureux aux instincts (forcément aimables) martyrisés et à qui des parents abusifs (forcément abusifs, puisque parents) auront un peu vivement prescrit, un jour, de manger sa soupe.

entretienavecunvampire8jd4Entretien avec un vampire goûte un peu à ces deux aspects, mais ne se tient pas en équilibre, au milieu du gué, puisqu’il fait de Louis (Brad Pitt), le personnage principal, un pauvre malheureux torturé de culpabilité et horrifié de ses goûts sanguinolents. Il ne faut évidemment pas chercher bien loin pour trouver les racines de cette haine de soi dans l’évidente homosexualité de plusieurs des protagonistes et (je le découvre sur Wikipédia) dans l’histoire personnelle d’Anne Rice dont le fils est gay. Le vampirisme, en ce cas, est plutôt examiné sous l’angle d’une réprobation sociale frappant une communauté et non plus sous celui d’un portail ouvert sur le Mal.

Cela dit, qui démythifie le propos, et donc l’affaiblit, le film, tourné avec d’importants moyens, est d’une grande beauté formelle et présente à l’amateur de bien belles images cruelles, parfaitement léchées et composées, notamment des incendies qui ravagent la plantation de La Nouvelle Orléans ou le théâtre maléfique parisien ; puis, la beauté des costumes et des allures, dans cette fin du 18ème siècle qui constitua, peut-être, l’époque la plus raffinée de toute la Civilisation, le Sud profond, à jamais anéanti par les Yankees, ses grandes demeures et ses parcs aux arbres chargés de la si esthétique mousse espagnole, la rencontre, sous un pont de Paris de Louis et de Santiago (Stephen Rea)… ou San Francisco moderne et nocturne.

entretien avec un vampireLe plus beau, à mes yeux, est la représentation au Théâtre des Vampires ; moi qui déplore depuis toujours que le roman de Huysmans Là-bas n’ait jamais donné lieu à une adaptation cinématographique, voilà que j’en ressens l’atmosphère démoniaque, dans cette malsaine affluence de gens du monde devant des spectacles aussi ambigus que terrifiants. Il y a, dans cette séquence, un plan absolument magnifique où les vampires, filmés en plongée verticale, se jettent sur le corps dénudé d’une victime (Laure Marsac) comme une assemblée de rats voraces maléfiques.

Malheureusement ces séquences parisiennes sont bien trop brèves et sont même complètement déséquilibrées par rapport au reste du film : j’ai l’impression que le réalisateur Neil Jordan a dû être pris par le temps et les exigences de la production et a bâclé cette partie, pourtant de loin la plus troublante : qui sont ces vampires réunis en phalanstère à Paris ? Pourquoi, d’emblée, haïssent-ils Louis et la petite Claudia (Kirsten Dunst) jusqu’à vouloir les détruire ? Quel est le rôle précis d’Armand (Antonio Banderas) dans ce cénacle ? On devine les réponses, mais on aurait aimé que le metteur en scène s’étendît davantage sur ces questions sulfureuses. Mais peut-être aussi le climat compassionnel du film en aurait il été affecté…

Ah ! Disons beaucoup de mal du personnage de Lestat (Tom Cruise), le pervers initiateur de Louis, qui surgit et resurgit comme un Phénix immarcescible (il y avait longtemps que je ne l’avais pas placé, celui-là !), survivant aux incendies, aux alligators et à toute cette sorte de chose. Ça donne à un film qui n’est pas mauvais du tout une fin absolument grotesque.

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