Espoir – Sierra de Teruel

La guerre d’Espagne méritait mieux.

Le seul intérêt de cet Espoir est qu’il est l’unique réalisation cinématographique d’André Malraux dont on peut se féliciter qu’il ait ensuite porté ses talents ailleurs, tant cette espèce de brouillon, ni artistique, ni didactique laisse sur sa faim. Remarquez, lorsque j’écris ça, j’y mets une certaine mauvaise foi ; que ça étonne ou non, alors que je suis un lecteur compulsif et vorace, je ne connais pas une seule ligne de l’auteur de la Condition humaine et je concentre seulement mon admiration à l’écoute du discours qu’il prononça, dans le vent glacé du 19 décembre 1964 lors de l’entrée au Panthéon des cendres de Jean Moulin avec leur long cortège d’ombres. C’est comme ça, malgré deux ou trois tentatives, je n’ai jamais pu entrer dans les livres de Malraux (pas davantage que dans ceux d’Albert Camus autre gloire ignorée de moi).

J’ai sans doute tort, mais ça n’a pas la moindre espèce d’importance. Tout au moins ça n’en n’aurait pas si le personnage n’était entré dans l’histoire de France tout nimbé d’une gloire marmoréenne. Curieux et fascinant personnage que Malraux. Préfacier, en 1926 de Mademoiselle Monk de Charles Maurras, il est, dix ans, plus tard à contre-courant de ses positions initiales, puisqu’il s’engage dans les naïves exaltées Brigades internationales qui vinrent naïvement prêter main-forte au gouvernement du Frente crapular et ne recueilleront qu’ingratitude et brimades de la part du véritable patron de la révolution espagnole : le Komintern piloté d’une main ferme par Moscou.

Revenons à Malraux ; fasciné, à juste titre, par la haute figure hautaine du général de Gaulle il est un résistant douteux et peu efficace, mais un combattant des derniers mois de la Libération courageux ; puis il se voue à l’aventure du Rassemblement du Peuple français que le Général a lancée mais qui sera écrasée par la conspiration des modérés et des socialistes. En 1958, il est chargé de constituer le ministère de la Culture dont l’hétérogénéité et l’inutilité complète font encore peine aujourd’hui. Devenu icône intouchable, il est noyé par l’alcool et la mégalomanie. Et il achève sa vie de façon aussi surprenante que tout ce qu’il a mené jusqu’alors : auprès de la délicieuse, fantasque, lumineuse Louise de Vilmorin, la femme de la légèreté la plus intelligente qui se puisse dans son château de Verrières-le-Buisson. Légende vivante intouchable, alcoolique et dépressif, il meurt le 23 novembre 1976.

Si j’ai consacré tant de lignes à l’auteur de L’espoir c’est que le film est un peu à l’image de son auteur : dispersé, sans cohérence et, en même temps, animé d’un souffle qui n’est pas forcément négligeable. Teruel est une ville d’Aragon qui, dès le début du Soulèvement national du 18 juillet 1936 a fait partie du camp franquiste ; mais sa situation géographique fait qu’elle est une pointe blanche qui gêne les communications entre les Rouges (et Noirs) de Catalogne et ceux du Sud-est de la péninsule (est-il besoin de rappeler que tout le Nord et l’Ouest de l’Espagne sont franquistes ?). D’où la tentative un peu désespérée que les Républicains, qui sentent la victoire leur échapper, vont tenter entre le 15 décembre 1937 où ils s’empareront de la ville et le 22 février 1938 où ils en seront chassés. Cette bataille sanglante ouvrit la voie à l’offensive d’Aragon qui permit au Caudillo de couper en deux la résistance rouge pour peu à peu la réduire (Catalogne d’abord, puis Valence, Murcie et Alicante) jusqu’à arriver à la victoire du 1er avril 1939.

Un documentaire intelligent du type Mourir à Madrid aurait pu présenter les enjeux de la prise de Teruel, les déterminations stratégiques, les moyens mis en œuvre ; mais la réalisation est une bouillie qui rend à peu près incompréhensibles les combats et les initiatives ; de plus aucune personnalité n’est identifiée, exaltée, mise en exergue : de fait les protagonistes courent un peu partout, se précipitent ici et là, montent des coups dont on ne perçoit jamais l’intérêt. Quelques cartons interposés tentent d’expliquer au spectateur l’avancement des opérations : peine perdue ; quelques belles images austères, arides ne compensent pas l’impression de fouillis non maîtrisé.

Tous les historiens sérieux s’accordent à dire que minée par les dissensions, les haines, l’amateurisme, malgré l’aide de l’Union soviétique et les avions refilés par Léon Blum (qui nous ont tant manqués en 1940) la République rouge espagnole était vouée à l’écrasement. On comprend pourquoi lorsque l’on regarde L’espoir.

Ouf. On l’a échappé belle !

 

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