puis longuement, ensuite, il se reposa…
Comment se fait-il qu’un film doté – si l’on peut dire – d’un scénario d’une telle indigence, affreusement mal dialogué et dont les interprètes (tous les interprètes, même la pourtant excellente Jane Marken, même Jean-Louis Trintignant) sont extrêmement mal dirigés puisse conserver 60 ans après une telle renommée, jusqu’à être (hier soir) programmé sur Arte et avoir conservé une certaine force subversive ?
Sans doute parce qu’il a correspondu à peu près exactement à son époque, partagée entre une rigueur sociale qui l’apparentait au victorianisme et les aspirations, qui couvaient depuis la fin de la guerre, au soleil, au plaisir, à la nonchalance. Ces tensions ont surgi – et à mes yeux sans postérité immédiate, de nouveaux signes ne se manifestant que sept ou huit ans plus tard – avec une force qui a surpris tout le monde, bénéficiant de la séduisante roublardise et du talent décoratif de Roger Vadim et surtout, naturellement de l’animalité extraordinaire de Brigitte Bardot.
Mais à mes yeux il faut largement se garder de voir dans le personnage de Juliette, interprété par Bardot une sorte de fille révoltée, de révolutionnaire, même, porte-drapeau de l’émancipation des femmes et de la liberté sexuelle ; dans le cinéma français, en tout cas, ce rôle-là, c’est Mireille Darc qui l’a tenu, dans le Galia de Georges Lautner en 1966. Juliette ne revendique rien, si ce n’est de ne rien faire, de paresser nue au soleil et de prendre son plaisir en petit animal excitant qu’elle est. Le problème est qu’elle ne résiste à personne et que personne ne lui résiste et que ce comportement dévaste par sa propre logique (ou par le propre illogisme de Juliette, si l’on préfère), même si, contre toute vraisemblance, Et Dieu créa la femme ne se termine pas mal.On peut s’émerveiller de découvrir Saint-Tropez tel que peu d’entre nous peuvent dire l’avoir vu : charmant, gai, encore populaire et authentique, aux terrasses encore à peine occupées, mais évidemment doté des plus beaux points de vue qui se puissent, des pins parasols et du sable fin de Ramatuelle ; on peut rêver en remarquant que Juliette, lorsqu’elle quitte à un moment la boutique où elle vend les journaux pour aller déjeuner, laisse en plein vent ses présentoirs de cartes postales et en fermant à peine la porte à clef : c’est sûr, en 55, les vols à l’étalage dans une bourgade étaient rarissimes, époque bénie !
Mais en fait, les meilleurs moments du film, évidemment, sont ceux où Brigitte Bardot éclabousse l’écran de sa sensualité primitive : premières images, où elle bronze nue couchée sur le ventre (j’imagine le hoquet de surprise des spectateurs de 1956 qui prenaient ça en pleine figure dès la deuxième minute du film), repos après l’amour aux côtés de Trintignant, robe mouillée collant à sa peau après le naufrage du petit voilier, mambo torride sur la table du bar… Qu’on le veuille ou non et quoi qu’on pense du reste, elle dégage un tel parfum femelle qu’on pourrait presque passer sur les invraisemblances du récit et la mollesse du jeu des autres comédiens si Vadim avait été un réalisateur un peu moins désinvolte.