Et maintenant on va où ?

La guerre des femmes.

Pauvre Liban qui fut une oasis de paix et de prospérité dans le bouillant chaudron du Levant, mais qui n’a pu conserver encore, après les guerres civiles qui l’ont agité, entre 1975 et 1990, puis en 2006, sa réputation de Suisse du Moyen-Orient. Déchiqueté par les conflits meurtriers, sanglants, incompréhensibles qui le ravagent périodiquement, le pays conserve toutefois encore aujourd’hui sa singularité et son identité originales. Par exemple la coexistence, la cohabitation ici et là des musulmans et des chrétiens maronites dans certaines régions moins infectées par les haines et la marche brinquebalante du monde.

C’est bien ce qui se passe dans le village mis en scène par Nadine Labaki ; un village de la montagne, coupé d’un peu de tout, où il a dû y avoir de sacrés combats, puisque les chemins sont truffés de mines et de barbelés, puisque le cimetière du patelin est jonché de tombes de jeunes gens, maris ou fils des femmes qui vivent toute leur vie en tenues de grand deuil. Des femmes qui portent sur leurs dos la lourde peine de l’absence. Belle séquence d’ouverture, au demeurant : sous la musique pesante écrite par Khaled Mouzannar les femmes du village, semblant porter sur leurs dos toute la misère du monde, avancent, en pas rythmés et lourds vers le cimetière où reposent les hommes.

L’équilibre est fragile au demeurant, bien que le prêtre maronite et l’imam, sages et posés, entretiennent les meilleures relations du monde et sont comme germes d’ordre au sein du chaos qui est toujours à deux pas de faire irruption. Car les hommes s’aiment bien, jouent et plaisantent ensemble, mais ont tout de même les nerfs à fleur de peau et la gloriole toujours prête à s’exhiber, jeunes coqs sans mesure…Film féministe, Et maintenant on va où ? Oui, sans doute aussi et pourquoi pas ? En le voyant j’ai songé à Lysistrata, cette comédie antique où notre vieux pote Aristophane démantibule en un seul acte les prétentions virilistes et donne le beau rôle à la plus belle partie de l’Humanité en matière de calme, de sagesse, d’intelligence. Remarquez que notre auteur tapera tout autant sur le sexe d’Ève dans d’autres comédies encore plus acides.

Donc les femmes du village, qui en ont tant et tant pris dans la figure qu’elles ne peuvent concevoir que ça continue comme ça, ont résolu, presque de façon informulée, de tout faire pour que leurs hommes ne reprennent pas les armes, ne retrouvent plus les instincts de tueurs qui sont pourtant si proches, tellement évidents. Et que, quelle que soit leur religion, leur destinée si l’on peut dire (car on ne voit pas beaucoup de spiritualité là-dedans) ne les détermine pas à s’entre-assassiner.

La façon dont elles y parviennent est assez drôle, assez spirituelle ; à certains moments on pourrait presque se croire dans un film de Marcel Pagnol, léger, narquois, acide avec plein de mots, plein de tirades, certaines graveleuses, la plupart drôles. En mettant les femmes au premier plan la réalisatrice ne prend pas grand risque : on sait depuis longtemps que les filles d’Ève ont le bonnet mieux posé et plus équilibré que les fils d’Adam.

À dire le vrai, ça ne change pas grand chose et le reproche que l’on pourrait faire, si l’on avait l’âme chagrine, au film de Nadine Labaki, c’est que tout cela va s’arranger. Pourtant, il me faut bien reconnaître que la fin du film est un peu davantage complexe que je ne le dis : Et maintenant, on va où ? se demandent et demandent les porteurs du cercueil de Nassim (Kevin Abboud) lorsqu’ils arrivent au cimetière ; au carré chrétien ou au carré musulman ?

Sans doute le récit manque-t-il un peu de rigueur, se perd quelquefois dans des impasses. Mais il y a tant de force dans les personnages, dans le choix des visages, dans le filmage de la réalité de la vie quotidienne, dans les gestes humbles que la surprise est heureuse.

Mais nous ne sommes pas très bien partis pour gagner une paix durable.

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