Et voilà, pêché tout à fait par hasard et signé par un parfait inconnu, Grisha Dabat, qui n’a d’ailleurs jamais rien tourné d’autre, un film qui n’est pas déplaisant. Et qui pourtant paraît un peu copier d’une certaine manière une veine – assez française au demeurant – d’indolences estivales, d’ennui au soleil, de marivaudages cruels, de dérives des couples, de parasitismes inquiets. On sent que l’esprit des premiers romans de Françoise Sagan est passé par là (à moins qu’on puisse dire, ce qui n’est sûrement pas faux, que Sagan ne faisait que retranscrire, avec un talent fou, ce qui était dans l’air du temps). Un temps qui s’achèvera peut-être avec La collectionneuse d’Éric Rohmer en 1967. Mais deux ans avant Et Satan conduit le bal, le fondateur (un des fondateurs) des Cahiers du cinéma, Jacques Doniol-Valcroze réalisait le conte assez cruel L’eau à la bouche.
Il y a beaucoup de rapports entre ces deux derniers films, tournés l’un et l’autre en Roussillon, Céret pour le second, Collioure pour le premier. Grandes villas élégantes, isolées du monde, où des couples se font, se défont, se refont. Deux actrices identiques dans l’un et l’autre, Bernadette Lafont et Françoise Brion ; et Jacques Doniol-Valcroze qui réalisait l’un est un des principaux protagonistes de l’autre. On pourrait presque parler de doublon.
Pourquoi Et Satan conduit le bal a-t-il à peu près disparu des radars, néanmoins ? Cette relative absence d’originalité ? La notoriété médiocre du réalisateur ? Un scénario assez vide et une difficulté à densifier l’histoire qui conduit le film à tirer à la ligne, à ne pas dépasser 80 minutes et à s’achever sur une fin assez ridicule ? Tout cela est fort possible.
Pourtant la distribution est très remarquable et, à nos yeux d’aujourd’hui, surprenante de qualité surtout pour les personnages féminins. Car en plus de Bernadette Lafont et de Françoise Brion, voilà la toute jeune Catherine Deneuve,dont ce devait être le quatrième ou cinquième rôle au cinéma mais assurément le premier film où elle avait une présence importante. Pour les rôles masculins, c’est à peine moins éclatant : si on ne se souvient guère maintenant de Henri-Jacques Huet, sa notoriété alors était loin d’être mince ; Jacques Doniol-Valcroze ici acteur et non réalisateur, donc, ne manquait pas de qualités ; et si l’on connaît maintenant Jacques Perrin davantage comme producteur et documentariste, il était alors un des grands espoirs de l’écran (La fille à la valise de Valerio Zurlini, La Vérité d’Henri-Georges Clouzot) avant d’enchaîner les grands rôles avec Pierre Schœndœrffer et Jacques Demy. On peut ajouter à cette belle distribution Jacques Monod, un des grands seconds rôles du cinéma français.
Ivan (Jacques Perrin) est un de ces insupportables gigolos auxquels aucune femme ne résiste ; pour l’heure il vit à Collioure avec Manuelle (Catherine Deneuve) qui est une toute jeune fille folle de lui, dont le richissime mystérieux père (Jacques Monod) ignore les aventures. Sans un sou vaillant et assez sot pour avoir envoyé dans le fossé la voiture de luxe mise en dépôt chez un garagiste qui l’employait un peu, il se raccroche à Jean-Claude (Henri-Jacques Huet), viveur, fils de famille opulente et à ses amis l’écrivain Éric (Doniol-Valcroze) et sa compagne Monica (Françoise Brion), couple libre.
Ce petit monde quitte Collioure et se replie dans la belle maison de Jean-Claude, dans l’arrière-pays, avec Isabelle (Bernadette Lafont), une fille ramassée au passage, censée devenir la petite amie de Jean-Claude. Les six jeunes gens rassemblés, commence une sorte de marivaudage un peu sulfureux où les couples défaillent et se recomposent, alors même que M. Klaus (Jacques Monod), ancien gangster rangé des affaires et furieux de voir que sa fille Manuelle/Deneuve s’est amourachée d’un greluchon va intervenir pour les séparer. Naturellement tout ça ne se terminera pas bien.
Scénario un peu trop mode, un peu simpliste, un peu prévisible, mais film assez agréable à suivre, émaillé d’assez bons dialogues du type Toutes les femmes se croient moches, surtout quand elles sont belles ou En amour, ce sont toujours les mêmes rails qui mènent aux mêmes stations ou enfin ce dialogue entre Perrin le gigolo et Monod l’ex-gangster qui lui demande de quitter sa fille : – C’est une menace ? – Un conseil, mais tu peux considérer que c’est la même chose !.
Je suis bien conscient que le film vu par des yeux d’aujourd’hui décontenancerait les jeunes spectateurs et qu’il est trop profondément ancré dans son environnement temporel pour intéresser grand monde… Et pourtant…