L’âge de l’aurore.
Ce magnifique livre d’images porté par un souffle profond et une grande intelligence mériterait sûrement la note suprême du chef-d’œuvre si John Boorman avait pu, comme il l’envisageait, développer son sujet sur un temps plus long et faire ainsi mieux encore ressentir la subtilité de son propos. Selon Wikipédia, le réalisateur indiquait que »son but (…) était de créer une sorte de «Terre du Milieu» au sens de Tolkien, c’est-à-dire «un monde contigu, semblable au nôtre, mais en même temps différent, situé dans une époque en dehors du temps» ; mais ceci avec la difficulté supplémentaire par rapport au Seigneur des anneaux de juxtaposer deux orientations, païenne et chrétienne.
Boorman y parvient sans opposer violemment les deux croyances, pourtant évidemment antagoniques, ce qui ajoute beaucoup de séduction, d’ambiguïté et de subtilité au film, mais, à mon sens, les ellipses rendues obligatoires par la richesse de la matière romanesque ont un peu appauvri le discours.
Il n’y a évidemment pas de comparaison possible avec Les chevaliers de la Table ronde de Richard Thorpe, plus uniment chrétien et où l’amour était bien davantage courtois que charnel et où une incertitude demeurait sur la nature des relations entre Guenièvre et Lancelot. Dans Excalibur, les désirs physiques pèsent avec une sorte de fatalité lourde sur les héros et leur satisfaction entraîne les catastrophes relatées : amours d’imposture d’Uther Pendragon (Gabriel Byrne) et d’Ygraine de Cornouailles (Katrine Boorman), amours de passion de Lancelot (Nicholas Clay) et de Guenièvre (Cherie Lunghi), amours incestueuses d’Arthur (Nigel Terry) et de Morgane (Helen Mirren) : à chaque fois, la violence et la mort.
La possession de l’épée magique n’est gage de stabilité et de prospérité que si le Pouvoir est légitime et incontestable ; dans le fragile équilibre des âges anciens, le désir brutal d’Uther, l’infidélité de Guenièvre, le désespoir d’Arthur plongent le royaume dans une ère de ténèbres et l’espérance des peuples ne peut reposer que sur le retour d’une autorité les protégeant des féodalités ; (âges anciens et discours étonnamment moderne, au demeurant). Le film est ainsi tissé de réflexions complexes et richement suggérées.
On peut mettre ici et là une petite réserve sur un léger déséquilibre entre la première et la deuxième heure du film, celle-ci, d’une tonalité générale plus sombre (et culminant avec les dernières images de la Dame du Lac reprenant Excalibur et de la barque emportant la dépouille mortelle d’Arthur vers Avalon) l’emportant largement sur celle-là, souvent davantage bouffonne. Mais c’est là reproche mineur, vite emporté par la somptuosité baroque de la mise en scène, avec des séquences impressionnantes et magnifiques, l’enfantement de Mordred (Robert Addie) par Morgane, la contrée maléfique où Perceval (Paul Geoffrey) erre parmi les pendus, les armures, qu’elles soient étincelantes (aux époques de paix) ou ternies (lors des désolations), les bois sombres et mouillés, l’eau vive…
La forêt profonde recouvre la légende.