Invité avec un groupe d’amis charmants, à qui je ne peux rien refuser, alléché par la perspective du coquetèle chic qui allait suivre la représentation et (tout de même) un peu curieux de ce que pouvaient donner les mots hyperguityens de ce monument de l’œuvre de Guitry, j’ai condescendu à me rendre, avant-hier au joli théâtre Édouard VII en surmontant tant bien que mal mon aversion de la scène, du côté cour, du côté jardin, des sièges inconfortables et des climatisations défaillantes.
Mes amis étaient aussi charmants qu’à l’accoutumée, le champagne et les jus de fruits de haute volée, et l’inventivité des traiteurs de qualité, habiles à déguiser foie gras et coquilles Saint-Jacques dans de ravissants petits raviers m’émerveille toujours autant.
Et à part ça, la pièce ? Aussi catastrophiquement inopportune que je m’y attendais ; le texte, d’une brillance exceptionnelle, la construction, si ingénieuse, sauve pourtant la soirée pour les spectateurs qui en attendent les rosseries habituelles du Maître ; mais les acteurs ! Je n’ai pu juger Martin Lamotte, défaillant l’autre soir, et remplacé par Bernard Murat qui assure, par ailleurs la mise en scène et qui s’efforce de bougonner dans un jargon qu’il veut méridional. Clotilde Courau est épouvantable, pépiant, jacassant, se trémoussant de façon imbécile et inconvenante ; elle est sûrement moins catastrophique duchesse de Savoie qu’actrice d’esprit – ce qui est, de ma part, une allégation incertaine et inquiétante pour l’avenir de la maison royale d’Italie – ; la mise en scène, qui n’est pourtant pas très compliquée, pour une pièce jouée en un décor unique et trois personnages est d’une platitude rare lorsqu’elle respecte les indications de Guitry et tend vers la bouffonnerie lorsqu’elle s’en affranchit (ainsi lorsque le quatrième personnage, le valet de chambre – qui n’apparaît qu’une vingtaine de secondes en tout – fait mine en sortant de la pièce de se cogner dans la porte).
Et Arditi, dans tout cela ? Ma foi, si on n’avait pas le jeu, les intonations, les gestes de Guitry dans l’œil et dans l’oreille, on ne le trouverait pas trop mal, d’autant que ce jeu, ces intonations et ces gestes sont précisément presque totalement imités ; mais le hic est que le film existe, et qu’il a gravé à tout jamais la version originale ; dès lors tout cela est bien inutile…
Comment pourrait-on jouer du Guitry sans, consciemment ou non, faire du Guitry ? Et, si on en fait, à quoi bon, puisque le cinéma et sa mémoire existent ?
Étrange manie de cloportes à vouloir s’approprier une œuvre gravée dans le marbre. Il y a quelque temps, il paraît que Francis Huster a souhaité, tout seul sur scène interpréter Le roman d’un tricheur ; les clubs du troisième âge et les provinciaux pour qui aller au théâtre fait partie des enviées soirées parisiennes – on devient Sardanapale et Balthazar pour quelques sous – ont assuré quelques jours un peu de recette…. Mais comment veut-on que ces profanations puissent ne pas irriter ?