Faubourg Montmartre

Les beaux mélos du temps jadis.

Raymond Bernard avait déjà atteint une assez belle notoriété (Le miracle des loups en 1924), lorsqu’il réalisa son premier film parlant avec Faubourg Montmartre en 1931. Sa carrière se développa ensuite avec amplitude : Les croix de bois en 1932, Tartarin de Tarascon en 1933, surtout Les Misérables en 1934 ; beaucoup prétendent que c’est là la meilleure adaptation du roman de Victor Hugo ; ce n’est pas du tout mon avis, d’ailleurs. Puis, assez curieusement, cette carrière s’infléchit et baisse de ton, sans qu’il y ait d’ailleurs un rapport avec la césure de la Guerre qui a modifié tant de destins. Mais Marthe Richard au service de la France en 1937, Un ami viendra ce soir en 1946 et surtout (surtout !) La belle de Cadix avec Luis Mariano en 1953 sont d’un niveau plutôt médiocre.

Faubourg Montmartre, c’est vraiment autre chose et c’est vraiment bien. C’est un mélodrame classique – un peu gâché, comme la plupart des récits de ce genre par une fin heureuse où tout s’arrange – , un film des débuts du Parlant où il y a encore un peu, dans le jeu des acteurs des accentuations issues du Muet mais où Gaby Morlay et Charles Vanel tirent remarquablement bien leur épingle du jeu. Histoire classique d’un sale type, souteneur et trafiquant de drogues diverses, André Marco, dit Dédé (Vanel) essaye de mettre sur le trottoir la fraîche Ginette (Gaby Morlay), employée dans une petite entreprise de couture.

Ginette est la sœur de Céline (Line Noro), cocaïnomane et maîtresse de Dédé. Le père des deux jeunes femmes (André Dubosc) est voyageur de commerce, rarement à Paris et, pour améliorer l’ordinaire, donne habituellement en location une chambre de l’appartement.

C’est ainsi que débarque dans la maison un grand garçon guindé, pincé, apparemment coincé, Frédéric Charençon (Pierre Bertin). Petite pause dans mon récit : on voit tout de suite que, comme dans tous les mélodrames, il n’y a pas lieu de s’embarrasser de vraisemblance : Charençon se révèlera plus tard un riche châtelain et on voit mal comment il en viendrait à prendre en location une chambre au 6ème étage d’un immeuble plutôt médiocre de la rue du Faubourg Montmartre, à deux pas, il est vrai, des Grands Boulevards et de leurs théâtres, cabarets et music-halls. Mais peu importe ! On marche, parce que c’est drôlement bien rythmé et bien construit.

C’est dans un de ces cabarets où des girls lèvent la jambe en rythme que les deux sœurs, chaperonnées par Charençon retrouvent leur cousine Irène (Florelle, charmante) qui mène la grande vie et dispose de voiture avec chauffeur et grand appartement. À la fin de la soirée, Irène expédie Céline et Ginette dans leur 6ème et garde avec elle Charençon, qui devient son amant…

Parallèlement, Dédé/Vanel organise avec une petite troupe de prostituées qu’il manage (dont Fréhel, à la voix toujours magnifique) la dégringolade espérée de Ginette et organise un rendez-vous avec un grand gros homme étranger, chassé par le retour et les remords de Céline et bien déçu de ne pouvoir déniaiser l’oiselle. Les péripéties se succèdent : Charençon devant s’absenter quelques jours, c’est Dédé, en délicatesse avec la police qui le remplace dans la chambre ; le vieux père revient ; la police perquisitionne ; le père fait une attaque, puis meurt… Ginette perd sa place de couturière, Céline s’enfonce dans la cocaïne et la folie.

Comme on le voit, rien ne manque dans le salmigondis. Et pourtant ça ne parvient pas à déplaire ni même à être aussi ridicule que ça paraît. Un exploit, n’est-ce pas ? Avec des rebondissements jusqu’à la fin où Frédéric et Ginette, à la campagne dans le château des Charençon et enfin rassemblés, voient le malfaisant Dédé monter contre eux les villageois. Villageois qui engagent un charivari, une sorte de manifestation sauvage, cruelle, primitive, païenne (comme la fête des Pailhasses qui se déroule chaque mercredi des Cendres dans Sans toit ni loi d’Agnès Varda)…

Malgré les médiocres moyens techniques de l’époque, la vie nocturne des boulevards est fort bien rendue et la foule qui se presse a de vrais visages. Presque cent ans déjà…

 

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