Feu d’artifices.
Malgré l’évidente virtuosité technique de David Fincher et la qualité de la distribution, je ne suis pas certain d’avoir apprécié ce film, assez long (plus de 2 heures 15) et dont les ramifications m’ont paru un peu trop tordues. Je ne suis pas certain non plus, d’ailleurs, de ne pas l’avoir apprécié. Et cette ambivalence correspond d’une certaine façon au jugement des critiques qui, à l’époque de la sortie sur les écrans de Fight club, avaient pris des positions antagoniques très arrêtées, les uns s’en enthousiasmant, les autres le descendant en flammes.
Le film a eu par la suite un grand succès commercial et a sûrement inspiré des vocations (provisoires, mais exaltées) chez des jeunes gens romanesques et naïfs, portés naturellement vers le radicalisme du propos et son absence de nuances. Et puis c’est un film qui change plusieurs fois d’orientation, qui bifurque en cours de route, qui mêle des propos disparates. Ce chemin plein de biais a sans doute déconcerté chez moi le vieux crabe à qui on ne l’a fait pas (qui parcourt en s’en émerveillant les chemins hypnotiques de David Lynch, mais ça n’est pas du tout la même chose).
Dans les vingt premières minutes de Fight club j’ai cru me retrouver en territoire connu, en territoire houellebecquien, dans une variation du thème de la mortifère solitude, dans le désarroi devant l’abondance sans chaleur du monde de la consommation. Quelque chose comme Extension du domaine de la lutte aux États-Unis. Et je suis d’ailleurs sûr que Michel Houellebecq, s’il a vu le film ou lu le livre dont il est adapté a dû être particulièrement intéressé par ces groupes de paroles désolants, pitoyables, fréquentés par le narrateur (Edward Norton) qui au contact des cancéreux des testicules, des alcooliques anonymes, des parasités du sang, essaye puis parvient un temps à trouver l’apaisement de sa difficulté de vivre.
Ce qui suit, après la rencontre du Narrateur et de Tyler Durden (Brad Pitt) est à la fois plus convenu et plus étrange. Le discours sur la malfaisance de la société de consommation (au fait, en connaît-on une autre, à part la société de pénurie ?), sur la volupté de se débarrasser des biens inutiles et de vivre en se satisfaisant de l’essentiel est vieux comme le Monde, développé déjà chez Bouddha et chez Épicure ; et la phrase tant admirée du film On est possédé par ce que l’on possède figure littéralement dans M. Bergeret à Paris (1901) d’Anatole France. On se plaît toujours à faire du neuf avec du vieux, surtout quand on est jeune. Et l’anarchisme pratique de Tyler Durden, pissant dans la soupe, crachant dans les plats et pétant sur les meringues ressemble à des milliers de plaisanteries de polissons excités. On se croirait à ce moment là dans la série Jackass où des galopins déjantés se lancent des défis de plus en plus absurdes. Même Quick et Flupke les deux garnements bruxellois créés par Hergé ont tiré des sonnettes.
Davantage originale, mais très morbide, la constitution du Club et la fascination graduelle que la volupté de la castagne cruelle va exercer sur un groupe de plus en plus large. Mais après tout le goût de la bagarre est consubstantiel aux petits garçons et à leurs enfants les hommes. Ça va de La guerre des boutons (version soft de la chose) jusqu’à Raging bull. Disons que là elle est plus violente et même très sanglante. Mais, ma foi, que pour exister à ses propres yeux et combler la vacuité de son existence on ait besoin non seulement de donner des coups mais d’en ressentir est finalement moins étrange qu’il ne paraît.
Se constitue alors une étrange phalange, une sorte de légion à forte connotation homosexuelle (le bataillon sacré de l’ancienne Thèbes grecque), mais une homosexualité qui serait, en quelque sorte non charnelle, la violence orgasmique ressentie et donnée paraissant à elle seule combler les besoins des protagonistes (Je me demande si une femme est ce dont j’ai besoin). La cave sombre des combats m’a fait irrésistiblement songer à l’atmosphère glaçante du Rectum la boîte homo sado-masochiste où Albert Dupontel cherche furieusement le Ténia dans Irréversible de Gaspar Noé.
Mais la bande ainsi constituée, qui obéit de plus en plus aveuglément à son gourou, m’a fait penser, de façon plus narquoise au groupe anarchiste des YAM (Y’en a marre !) rare truc rigolo de La vengeance d’une blonde de Jeannot Szwarc. Que signifie cette philosophie à la surhomme, montrant qu’on peut tout oser, tout détruire, tout souiller pour son propre épanouissement (et parce que son papa a été trop absent ou trop indifférent) ?
La dernière demi-heure du film, celle du Projet Chaos et des révélations de dédoublement final m’a semblé du plus haut farfelu, à la limite du ridicule. Et je n’ai pas du tout marché, moins à cause des invraisemblances et de la grandiloquence des situations que de ce regard apocalypto-moraliste qui a dû paraître à beaucoup comme un sommet du tragique humain. Ce qui est tout de même assez excessif.