Je ne me souvenais pas que c’était aussi bien, aussi haletant, aussi enlevé, aussi intelligemment construit… Il est vrai que je ne me souvenais pas non plus qu’il y avait eu une suite, sûrement superflue, parce qu’elle doit déboucher sur la punition des méchants trafiquants et la victoire des bons policiers, alors que le générique de fin de French connection est une impeccable démonstration de l’inutilité de la lutte des pouvoirs publics contre la drogue… je n’hésiterai pas à écrire de la nocivité de cette lutte.
Le film de William Friedkin commence à 200 à l’heure et ne ralentit pratiquement pas jusqu’à sa fin, émaillé de scènes formidables : la filature de Charnier (Fernando Rey) par Popeye (Gene Hackman) dans le métro, la course infernale du même Popeye qui finit par rattraper Nicoli (Marcel Bozzuffi), à l’issue d’une des plus belles séquences d’autos tamponneuses que je connaisse, la traque finale des trafiquants dans une usine désaffectée… Et des atmosphères gluantes, nocturnes, souillées, les bars louches du Bronx, l’appartement crapoteux de Popeye. Et le peu d’images de Marseille (curieusement orthographié Marseilles avec un S final dans la version que je possède) donne envie de se retrouver au vallon des Auffes, dans un de ces beaux restaurants à bouillabaisse qui sont une des gloires de la deuxième ville de France.
Ce qui est très bien, donc, c’est la mise en valeur, la mise en exergue, même, de la vacuité de toutes les tentatives de mettre fin au déferlement des substances interdites, déferlement montré du doigt dès 1969 (More, de Barbet Schroeder, puis Les chemins de Katmandou, d’André Cayatte) pour ses ravages individuels, puis, avec French connection, en 1971, pour sa mise en œuvre gangstériste.
Depuis quarante ans, toute cette lutte sans succès et sans fin profite à tout le monde : paysans cultivateurs d’Amérique du Sud ou d’Afghanistan, terroristes marxistes ou islamistes qui en tirent de gros revenus, confortables spéculateurs vénézuéliens ou ex-soviétiques, grossistes marocains ou libanais, revendeurs des cités-ghettos. Et, en contrepartie, paix sociale (relative !) acquise par les pouvoirs publics, grâce à ce trafic, qui irrigue financièrement des zones qui, sans cela, seraient entièrement paupérisées (alors que le taux d’équipement en voitures de luxe y est, grâce audit trafic, significatif) et occupation de services de police qui, non contents de prétendre vider la mer avec une petite cuillère, y reversent consciencieusement tout le liquide prélevé…
Les gesticulations de Popeye et de son acolyte Russo (Roy Scheider) sont aussi héroïques que pathétiques et ne peuvent aboutir, en fin de compte, qu’aux désastres (la mort violente de leurs collègues) et aux échecs (la fuite des gros bonnets, ou leur impunité). Ce n’est pourtant pas d’hier que la sagesse grecque a élaboré le mythe du Tonneau des Danaïdes… Mais notre siècle malin croit pouvoir pisser contre le sirocco.
Et en a, naturellement, les babouches mouillées…