Délicieusement filmé et interminable.
C’est un film absolument interminable, à la célébration exclusive de Barbra Streisand, qui est bien oubliée, me semble-t-il, aujourd’hui, mais qui fut une immense vedette mondiale, à la scène et à l’écran. Un étrange visage au nez trop fort, mais qui ne manque pas de charme, pas plus que l’actrice ne manque d’abattage et de talent. Dans ce spectacle fastueux qui a été réalisé avec d’importants moyens par William Wyler, l’actrice occupe tout l’espace, et l’occupe sans doute un peu trop, malgré la qualité des autres interprètes, Omar Sharif et Walter Pidgeon essentiellement.
Petit monde d’immigrés modestes, juifs ou italiens, entassés dans le Lower East side de Manhattan. Au milieu de ce microcosme pittoresque, chaleureux, attachant, l’ambition forcenée de Fanny Brice (Barbra Streisand) de monter sur les planches et de réussir au théâtre. Prospérités de l’après-guerre, gaîtés des années folles, époque où le public s’émerveille des féeries que lui présente le grand entrepreneur de spectacle Florenz Ziegfeld (ici Walter Pidgeon). L’homme a laissé assez de traces dans l‘entertainment pour avoir inspiré, en plus de Funny girl au moins trois autres films : Le grand Ziegfeld (1936), La danseuse des Folies Ziegfeld (1941), l’un et l’autre de Robert Z. Leonard et Ziegfeld Follies (1946) de plusieurs réalisateurs, dont Vincente Minnelli et George Sidney. Tous films qui, au demeurant, ne sont pas d’entières réussites, mais qui ont au moins le mérite de présenter plusieurs numéros exceptionnels, à base d’immenses machineries en forme de gâteaux géants, de kilomètres de tulle et de strass, de danseuses à longues jambes et à décolletés profonds, d’acrobates et de virtuoses.
L’ennui est que, dans Funny girl, il n’y a guère qu’une séquence, très réussie au demeurant, où l’amateur en prend plein les yeux. Pour un film qui dure deux heures et demie, c’est bien trop court. Autre reproche, sans doute plus vif, l’insignifiance totale de la musique et des lyrics, dont l’auteur est un certain Jule Styne. Ce n’est pas tout à fait un musicien insignifiant, mais enfin, il n’atteint pas le bas de la cheville des grands auteurs qui pourvoyaient Florenz Ziegfeld en merveilles. C’est-à-dire par exemple Irving Berlin,George Gershwin ou Jerome Kern.
Grand spectacle fascinant et musique délicieuse évacués, qu’est-ce qui reste, donc ? Décors et costumes de grande qualité, reconstitution attentive de beaux intérieurs des Années Vingt et, donc, interprétation de qualité. Mais voilà que tout cela est noyé dans le récit sirupeux et tellement, tellement prévisible des amours compliquées de Fanny Brice/Cartland et de Nick Arnstein/Omar Sharif. On aura beau me dire que le film est adapté d’une comédie musicale de Isobel Lennart, Bob Merrill et Jule Styne, qui retraçait, avec quelque véracité, paraît-il, l’existence délicate du véritable couple formé par Fanny Brice et son mari Arnstein, joueur invétéré, navigant sans cesse entre les fortunes gagnées au poker ou dans les courses de chevaux, et la dèche et les dettes, ça ne me suffit pas.
Arnstein/Sharif fascine d’emblée Fanny/Cartland par sa beauté, son élégance, sa connaissance du monde et de la richesse. Mais graduellement les destinées se croisent, Fanny devient une immense vedette de music-hall et Nick s’enfonce dans la malchance jusqu’à se compromettre dans des affaires louches et faire de la prison. Les deux époux, évidemment, s’aiment, mais Nick est de plus désemparé, abattu, humilié par la réussite éclatante de sa femme. Seulement – et pour le happy end – sur la grande scène où elle chante en vedette absolue Mon homme, la rengaine de Maurice Yvain et Albert Willemetz… Je l’ai tellement dans la peau, j’en suis marteau… mais je n’suis qu’une femme…