Galia

Mai 68 y est déjà !galia-georges-lautner-1966-L-7YHMEv.jpeg.pagespeed.ce.dd6cXjj6-N

En regardant, hier soir, l’excellente série Graffiti, de Pierre Lescure et Dominique Besnehard, j’ai accroché au vol ce nom de Galia, dont plus personne ne parle…

Je n’ai jamais vu Galia, emblématique illustration, bien dans l’air du temps, du mythe de la femme libérée, film qui fit scandale et qui arbora en figure de proue une Mireille Darc à la séduction si atypique que son minois si peu classique allait dans le sens de son propos…

Je crois me souvenir que la presse faisait état d’une séquence où retirant son pull-over, elle s’éloignait, nue et très désirable, vers de nouvelles aventures ; cette désinvolture, cette indifférence à la bien-pensance était presque une proclamation…

Les années ont passé, Mai 68 s’est montré plus malin que tout le monde, la liberté sexuelle s’est imposée comme une sorte d’obligation existentielle… et personne ne se souvient plus qu’en 1966, avant la mode, Galia avait déjà fait la nique au vieux monde…

16 août 2008


Ce n’est pas un très bon film, Galia, ni un film important dans l’histoire du cinéma, mais enfin c’est un moment qui compte, un moment où l’Histoire (l’Histoire des mœurs seulement, si l’on veut, mais c’est peut-être cela qui compte), où l’Histoire, donc, retient son souffle.

Ça porte encore tous les tics, les fulgurances et les scories des années Soixante : générique en caractères minuscules, adaptation musicales de Jean Sébastien Bach (qui se souvient encore de la clarinette de Jean-Christian Michel, qui, en quelque sorte, colorait sonates et partitas ?), ça s’ouvre et ça se ferme sur Étretat, alors furieusement à la mode, ça s’habille en Dorothée bis (ça, c’était pour les filles ; pour les garçons, c’était Renoma), ça roule en Triumph TR4, et c’est joué par des acteurs très typiques de l’époque, Jacques Riberolles, François Chaumette et, bien entendu, Mireille Darc.

Et c’est tourné deux ans avant Mai 68 ; c’est en cela que ça compte ; on sent le foisonnement, le bouillonnement, l’échauffement d’un monde qui ne peut plus supporter les contraintes de la Vertu, ni celles de la Sagesse et qui va jeter bientôt son bonnet par dessus les moulins.

L’anecdote de Galia n’est pas très satisfaisante et n’a, à dire vrai, pas beaucoup d’importance : c’est celle de la mante religieuse dévoreuse d’hommes et indifférente à tout qui se brûle les ailes en tombant amoureuse assez sottement d’un type veule et méprisable, sous les yeux fascinés et cruels de l’épouse du sale type, riche, délaissée et finalement victorieuse. Le scénario est prévisible et Lautner le conduit paresseusement. Cette anecdote-là est de toutes les époques et aurait pu avec assez de facilité être représentée aux dernières années de l’Ancien Régime, comme un des développements des Liaisons dangereuses.

Mais ce qui est intéressant dans Galia, c’est le personnage de Galia, précisément, avant qu’elle ne s’englue dans les corridors communs de la passion. C’est donc Mireille Darc, dont l’acidité de visage, le corps souple, nerveux, souvent dénudé, tout de grâce et de finesse épouse idéalement la mode de la liberté sexuelle qui fera florès dans la décennie suivante.

Ce serait trop dire, et sûrement se méprendre, que de croire que le film est l’apologie réactionnaire de la mesure et que Galia, sévèrement punie, humiliée, finalement ridiculisée par les retrouvailles de son amant Greg (Venantino Venantini) avec sa femme Nicole (Françoise Prévost) n’a que ce qu’elle mérite ; elle s’en remettra évidemment et poursuivra son parcours de femme libre, disponible et indépendante, celle qui dit Oui sans dire son nom, comme l’a chanté Darc. Son sort est plus souriant que celui du couple mal assorti qui s’est retrouvé : l’argent de Nicole, la séduction de Greg, sa veulerie, sa cupidité ne donnent pas une très jolie image des amours classiques. Ce couple-là n’est que compromission et ambiguïté, assujettissement à un petit milieu vicelard et crapoteux où barbote Wespyr (François Chaumette, à l’œil toujours inquiétant – c’est Boris Williams, le manipulateur de Belphégor – et à la voix suave – il est celle de l’ordinateur Hal, dans la version française de 2001).

En regard de cette société qui dérive, l’amoralisme de Galia peut paraître comme une sorte de fraîcheur nécessaire : elle donne son corps à qui lui plaît et qui le veut : c’est exactement la mythique fantasmatique des années qui vont suivre, jusqu’à ce coquin de Sida vienne rappeler à l’Homme certaines évidences. Mais il est assez drôle que ce film avant-coureur qui eut en France un grand succès de scandale soit l’œuvre d’un Georges Lautner qui signait là, dans sa carrière plutôt consensuelle, quelque chose comme un OVNI ; après Les Tontons flingueurs et Les Barbouzes, avant Ne nous fâchons pas et Le Pacha, films qui passaient, aux yeux des classes éclairées et progressistes comme le comble de la beaufitude franchouillarde, Galia scandalisait pas mal de ceux qui étaient venus applaudir les pudiques Ventura et Blier et qui applaudiraient les non moins pudiques Gabin et Constantin. Il y a ainsi de drôles de choses.

galia-1965-07-gOutre les ficelles un peu trop apparentes du scénario, et quelques idées faciles de mise en scène (le cauchemar de Galia, qui paraît parodier un sous-Mario Bava), la faiblesse principale du film tient à Venantino Venantini ; parfait dans les rôles subalternes de porte-flingue élégant, il est tout de même trop caricaturalement latin lover pour qu’on ne se demande pas comment deux femmes intelligentes peuvent être séduites par un type friable, faible et insignifiant… Mais le duo des femmes, Françoise Prévost et Mireille Darc (elle absolument parfaite) fonctionne très bien, donnant à voir, sans que le moindre geste soit montré, une fascination homosexuelle rare à l’époque.

Et puis il y a Paris, le quai de Montebello, en face de Notre-Dame, où habite Galia, et Le Sélect, en face de La Coupole, à Montparnasse ; c’est au même café que Corinne Marchand, dans Cléo de 5 à 7 glisse, dans le juke-box une pièce de monnaie pour s’écouter chanter La belle putain

Et là aussi que Greg se livre, avec l’enveloppe plastique de son paquet de cigarettes, à un jeu délicieux pour faire des ronds de fumée parfaits ; depuis quarante-cinq ans, j’avais oublié ce jeu-là ; merci Lautner !

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