Endora, une petite ville au fin fond de l’État de l’Iowa. Un paysage plat comme la main, des champs de maïs à perte de vue, quelques maisons assez modestes placées n’importe comment. Du côté de la route nationale, il y a un supermarché qui s’appelle Foodland, et, à son ombre va bientôt venir s’installer une chaîne de fast-food qui s’appelle Burger barn ; tout cela va sûrement mettre fin à ce qui subsiste du petit commerce du vague centre d’Endora où Gilbert Grape (Johnny Depp) est commis. Un commis qui travaille matin et soir, sans compter ses efforts ni ses heures parce qu’il est, en quelque sorte, le chef de la famille Grape.
La famille Grape, c’est quelque chose. Elle vit tout entière dans une maison construite vingt ou trente ans auparavant par le père, taciturne, fermé, silencieux qui s’est suicidé, sans doute par ennui, misanthropie ou accablement. Sans doute peu après la naissance de son second fils, Arnie (Leonardo DiCaprio), à la fois très physiquement fragile (on lui a donné peu de chances d’atteindre sa dixième année mais il va bientôt avoir 18 ans) et passablement débile. À la suite de tous ces drames, la mère de famille, Bonnie (Darlene Cates) a lâché prise ; elle est devenue obèse (plus de 250 kilos) et ne sort plus de sa maison depuis quinze ans, devenue presque une légende à Endora, dont elle était, paraît-il, la plus jolie fille.
Autour de ce trio, Amy (Laura Harrington), la sage sœur aînée, qui passe son temps à cuisiner et à entretenir la maison et Ellen (Mary Kate Schellhardt) qui vient d’avoir seize ans, petit monstre de futilité et d’égoïsme. A priori, une sorte d’enfer domestique, toute la maisonnée étant au service exclusif de la mère obèse et du fils handicapé. Peu d’échappatoires concevables, pas même la liaison furtive et frustrante entretenue par Gilbert avec la dévorante nymphomane Betty Carver (Mary Steenburgen), dont le mari, Ken (Kevin Tighe) agent d’assurances, paraît ne se douter de rien… à moins qu’il se doute de quelque chose.
Toujours est-il que la vie banale, routinière, exténuante de Gilbert se borne à laver son frère Arnie dans son bain, à le surveiller comme du lait sur le feu, sans pourtant pouvoir empêcher le pauvre garçon de se livrer à son passe-temps favori : grimper sur les échelles du réservoir d’eau qui domine la bourgade, aux grands agacement et exaspération du shérif et des pompiers.
Jusqu’à ce que le hasard d’une panne automobile immobilise à proximité d’Endora la caravane de Becky (Juliette Lewis) qui voyage avec sa grand-mère (Penelope Branning). Il y a d’emblée quelque chose qui se passe entre les deux jeunes gens, mais rien de banal. Car Beck n’est pas une fille comme les autres et elle possède un rayonnement qui va ouvrir les yeux de Gilbert sur autre chose que la routine quotidienne. La beauté extrême des couchers de soleil, par exemple ou la folie de se baigner tout habillé dans la rivière ; mais aussi de parler, de se confier, de raconter par touches et par bribes l’existence recluse de sa famille, la mort de son père, l’obésité de sa mère, l’amour qu’il porte à son frère mais aussi la dureté de s’en occuper à chaque instant.
Justement Arnie est monté une fois de trop tout en haut du réservoir et Gilbert ne peut empêcher la police de le mettre sous clé. Jusqu’à ce que Bonnie l’obèse, animée d’une fureur sacrée, furieuse, tonitruante, se moquant bien du regard stupéfié des habitants d’Endora qui n’imaginent pas qu’une masse comme ça, que les plus âgés ont connu svelte et belle, aille au commissariat exiger la libération de son rejeton et l’obtienne.Il est pourtant dommage que la fin du film soit un peu mielleuse et mélodramatique, que tout s’achève à la fois dans la tristesse et dans la libération.
Mais c’est bien, sinon. Une mention spéciale à Leonardo DiCaprio, dont c’était un des premiers rôles et qui est absolument bluffant dans un rôle difficile où il n’en fait jamais trop malgré le fou désarroi et la déficience mentale du personnage qu’il interprète.