Gilda

Mais où sont passées les gazelles ?

Lorsque l’on apprend que, sur la base d’une trame vague d’un certain E.A. Ellington, le scénario de Gilda a quasiment été écrit au jour le jour, dans une sorte d’improvisation fiévreuse, on comprend mieux son insatisfaction. On comprend mieux que, malgré l’originalité noire du scénario, on soit propulsé continuellement dans des chemins sans issue et dans des invraisemblances de comportement qui finissent par agacer. C’est bien dommage, parce que la première demi-heure du film est vraiment brillante, surprenante, qu’on ne discerne pas où le réalisateur veut vous conduire, ce qui est une des meilleures orientations du cinéma.

Il faut tout de même être sévèrement chtarbé pour apercevoir dans la rencontre incongrue du magnat Ballin Mundson (George Macready) et du crapoteux Johnny Farrell (Glenn Ford), dans l’Argentine richissime de la fin de la guerre, une histoire teintée d’homosexualité. Je sais qu’aujourd’hui il est de bon ton de voir dans un échange de regards, ou dans une amitié entre deux mecs une insinuation d’uranisme. C’est désormais à la mode et le lobby LGBT (et la quantité de lettres qui suit) tâche de traquer la moindre piste, dans Ben-Hur ou, tant à faire, dans La soupe aux choux. Mais il est de fait que ces deux hommes incertains se rencontrent et que le trafiquant riche embauche la pauvre épave avec qui il a tout de suite sympathisé.

Malédiction ! Ballin Mundson, qui s’est absenté en confiant la direction du tripot clandestin – mais largement toléré par les autorités – qu’il dirige à Buenos-Aires, revient quelques jours plus tard nanti d’une superbe créature qu’il vient d’épouser, Gilda (Rita Hayworth), qu’il a trouvée dans on ne sait quel cabaret alors que, sans doute, il partait diriger les affaires louches qu’il mène dans le trafic du tungstène.

Là, une pause dans mon propos : Rita Hayworth ; surnommée La déesse de l’amour, elle aurait pu tout autant l’être Le plus bel animal du monde, sobriquet réservé à une autre sublime actrice, Ava Gardner (au fait imagine-t-on la haine et la rage que les ligues féministes déploieraient dans nos tristes temps si l’on qualifiait ainsi une jolie fille ? Remarquez, ça ne risque pas d’arriver à Adèle Haenel !). Gilda a été tourné par Charles Vidor autour du seul mythe et du seul personnage de l’actrice : tous les autres acteurs, y compris le bien falot Glenn Ford n’existent que par elle et pour elle. Et malgré l’inutile complication du scénario, qui finit par se perdre dans des ramifications vraiment très inutiles, dès que Gilda survient à l’écran, le spectateur est fasciné, statufié, sidéré.

Et cela même pas seulement lors des morceaux de bravoure tant célébrés où la danseuse que fut la petite Margarita Cansino, dressée durement par sa famille, exprime un talent fou, si intense que les grands Fred Astaire et Gene Kelly l’ont reconnu, disant leur immense plaisir de la retrouver dans leurs bras ; même pas. Dans toutes les scènes où elle apparaît, qui sont donc foison, elle impressionne par cette sensualité à fleur de peau, par cette capacité de séduire et de fasciner des hommes à elle voués jusqu’à lui céder tout…

Scénario bizarre et mal fichu, invraisemblances, dialogues sans intérêt, musiques appropriées, agacements répétitifs entre les deux principaux protagonistes qui se provoquent, s’agacent, se fascinent, s’exaspèrent, se détestent et finissent par conclure leur périple par la perspective d’une histoire d’amours éternelles. On voit bien que c’est très mal fichu ; on voit bien aussi que c’est un film qui fait partie des mythes du cinéma.Au fait, on regrette évidemment que ça se termine si bien ; mais on était en 1946 ; au fait aussi, le film a eu tant de succès que le nom de Gilda a été peint sur une des bombes atomiques d’expérimentation larguées sur l’atoll de Bikini à partir de 1946. Là aussi, on n’est pas sûr qu’Adèle Haenel aurait apprécié, pauvre petite chose…

 

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