Ah c’est certain, l’Angleterre inquiétante de la fin du 19ème siècle a de quoi ficher les chocottes à tout le monde. La prospérité matérielle, le sentiment d’avoir mis à bas l’éternelle France rivale, l’expansion économique démesurée conjuguée à la frustration intime, l’hypocrisie sociale, la bonne conscience, le sentiment de faire partie d’une sorte de peuple élu ne nouant que le minimum de contact, voilà qui peut donner une sorte de gloriole et de sentiment de pouvoir exhiber au monde tout et n’importe quoi. Époque des histoires fantasmagoriques dont le chef-d’œuvre est le Dracula de Bram Stoker et de Joseph Merrick, l’Elephant man de David Lynch, mais aussi des exploits sanguinolents de Jack l’éventreur..
Costumes graves et bien coupés, grands appartements sombres, respectabilité, élégance corsetée tenue pour un art majeur. Une société très tenue, très glaçante, très inimaginable, de nos jours. Des dizaines et de dizaines de films nous ont présenté cette structure sociale rigide et ont développé à l’envi tous les fantômes de la névrose, des schizophrénies criminelles.
On veut bien marcher dans ce genre d’entreprises, parce que, somme toute, on a lu beaucoup et entendu beaucoup parler de ces mondes-là. Hypocrite et violente, assurément, mais, en surface, extrêmement bien élevée, ce qui est déjà ça. Mais le malheur est qu’on ne peut pas prendre l’écorce pour l’aubier, c’est-à-dire de considérer qu’en adoptant les codes, les modes, l’allure, les tenues, les apparences, en quelque sorte, de Londres, reine du monde des années 1890, on peut tout se permettre.
Tout et donc n’importe quoi. C’est à dire un récit incohérent où le spectateur peine à suivre des péripéties qui ne sont compliquées que par impossibilité de les montrer simplement. On veut bien accepter, dans tout film mystérieux, a priori dans un film nimbé de fantastique, les plus invraisemblables, les plus épouvantables révélations, les manigances les plus extrêmes, les transformations et les révélations les plus excessives, les surprises et les coup de théâtre les plus éclatants. Encore faut-il que la fantasmagorie progresse dans une certaine logique et surtout qu’elle fascine le spectateur à hauteur de la peur qu’il éprouve ; du moins qu’il est censé éprouver.
En endossant tous les oripeaux habituels et obligés du genre, le film de Juan Carlos Medina ne parvient jamais à susciter l’émotion : l’histoire est compliquée et ennuyeuse mais le spectateur en voit assez rapidement les ressorts et les trucages : une sorte de tueur en série traqué par un policier exemplaire, John Kildare (Bill Nighy) qui s’acharne à découvrir les choses qui sont derrière les choses et à ne pas se contenter de l’écume des événements ; des victimes qui, apparemment, n’ont aucun lien entre elles mais dont on voit pourtant bien que l’assassin ne les tue pas sans projet déterminé ; de brûlants souvenirs d’enfance qui reviennent hanter le cerveau malade d’Elizabeth Cree (Olivia Crooke) ; un peu les mêmes horreurs rigoureuses que celles de Carrie dans le Carrie de Brian De Palma.
Autrement dit, dans ce Golem, tueur de Londres, tout est présent, tous les ingrédients, toutes les épices, toutes les structures et pourtant ça ne décolle jamais : on assiste, impuissant spectateur, à une longue démonstration très appliquée d’un cinéaste qui a certainement regardé beaucoup de films de genre mais souhaiterait prétendre qu’en les étalant les uns à côté des autres, il parviendra à faire originale et angoissante.
Peuh ! il en faut bien davantage à l’honnête amateur pour ne pas fermer la paupière, la durée réglementaire atteinte.