Gueule d’ange

Malgré tout…

N’était le titre idiot, qui est le surnom du héros du film, Maurice Ronet, et la laideur de la chanson éponyme dont, paraît-il, le scénario a été tiré, j’étais tout prêt, jusqu’à la fin des soixante premières minutes, à mettre une note supérieure. Parce que ce n’était pas mal fait du tout, original, joyeusement impertinent, joué de manière alerte, doté de dialogues abondants, à la fois drôles et incisifs et parsemé de ces croquis du Paris de 1955 que j’affectionne particulièrement, malgré la noirceur des immeubles d’avant la salutaire action d’André Malraux.

Gueule d’ange, dont on n’apprendra qu’à la dernière séquence qu’il s’appelle en réalité Philippe Leroux, s’est bien battu pendant la Guerre, mais vit depuis lors essentiellement de ses charmes, qu’il dispense sans parcimonie auprès de dames plus âgées et généreuses. On appelait ça jadis un gigolo, mais on n’appelait pas encore les amatrices des cougars. Gueule d’ange/Ronet ne se contente d’ailleurs pas d’exploiter des aînées fortunées comme Isabelle (France Roche) : il séduit à tous propos et la première séquence le montre, d’ailleurs, chez une jeune étudiante pauvre, Marie (Geneviève Kervine) qui annonce être enceinte de lui, ce qui est prétexte suffisant pour qu’il rompe immédiatement et abandonne la pauvre gamine.

Par solidarité masculine, pour venger un compagnon de bistrot et surtout par goût du jeu et du défi, il se propose de séduire Loïna, une antiquaire avide d’argent (Viviane Romance) qui, de son côté, pressure des messieurs d’âge mûr sans pour autant leur laisser la moindre illusion sur ses intentions et ses sentiments. Les deux fauves se comprennent et s’entendent tout de suite, deviennent amants et s’emploient à organiser de façon plus industrielle encore leur petite entreprise. Succombent ainsi aux charmes du gigolo la flamboyante Josepha (Dora Doll), l’Américaine Margaret (Colette Mareuil), la provinciale Dominique (Élisa Lamotte) et, en coup de maître, la veuve richissime comtesse de Foucray (Simone Paris)…

Le film tourne bien tant qu’il aborde, avec un cynisme bienvenu, et même certaines cruautés les agissements minables des deux complices mi Valmont et Merteuil, mi escrocs parfaitement méprisables ; mais il commence à patiner dès que Ronet se prend à son propre jeu et devient réellement amoureux de Viviane Romance ; ma vieille théorie selon quoi les films ont toujours un quart d’heure (ou plus !) de trop se vérifie encore une fois : il faut une évolution des personnages et une conclusion : il faut donc introduire des fariboles improbables et des péripéties un peu ridicules. Gueule d’ange succombe malheureusement à cette mauvaise habitude et j’ai même cru, aux dernières minutes, qu’il allait sombrer dans le pire mélodrame, ce à quoi il échappe de peu.

Cela écrit, le film de Marcel Blistène (dont j’avais modérément apprécié Étoile sans lumière, malgré son agréable unhappy end) vaut la peine d’être vu, par les amateurs de raretés vieillottes. Et cela au moins pour le charme magnifique de Maurice Ronet, bien plus beau à 28 ans qu’il ne l’était à 22 ans dans Rendez-vous de juillet de Jacques Becker, et aussi, et peut-être surtout, pour la grande séduction et la qualité du jeu de Viviane Romance, dans le très mauvais rôle de garce absolue, qui lui a tant collé à la peau, de La belle équipe à Panique. Et qui était sûrement à même, si les réalisateurs avaient eu un peu d’imagination de jouer tout autre chose et de rester dans les mémoires comme une des plus grandes actrices du cinéma français.

 



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