Bons baisers de San Francisco.
À l’heure où le combat d’Harvey Milk pour la visibilité homosexuelle apparaît aussi gagné et daté que le droit de vote des femmes, la réalisation assez scolaire du film de Gus van Sant m’a paru assez lourde, appliquée, languissante. Et pourtant dotée d’évidentes qualités, notamment d’interprétation. Mais je crois que pour apprécier pleinement le récit, il faut être bien informé – ou s’intéresser vivement – aux systèmes judiciaire, électoral, politique des États-Unis avec des particularités qui nous semblent inimaginables dans notre vieille Europe. Et plus encore aux combats menés dans une atmosphère agressive et souvent très violente pour abolir des lois discriminatoires.
C’est sans doute parce que les particularités susmentionnées m’indiffèrent absolument et que je me fiche au-delà de tout de la façon dont la ville de San Francisco est administrée que les innombrables tentatives d’Harvey Milk (Sean Penn) pour accéder aux responsabilités municipales et finalement y parvenir m’ont beaucoup ennuyé. Répartition des voix dans tel et tel district, proposition d’arrêtés interdisant que les professeurs homosexuels soient exclus de l’enseignement, virulence des oppositions, mais aussi stratégies politicardes qui permettent de satisfaire telle ou telle imprudente promesse électorale. Tout cela fait bâiller.
Mais il faut bien que je dise aussi que la volonté homosexuelle de sortir des ghettos et de s’affirmer comme une force, une puissance, un lobby m’ennuie tout autant. J’ai souvent écrit ici et là que le prétendu droit à la différence, beuglé beuglé à cor et à cris me paraît devoir être plutôt remplacé par le droit à l’indifférence, formule intelligente de plusieurs personnalités gay. Chacun vit sa vie – chose qui n’est pas si facile que ça – et sa sexualité – ça n’est pas beaucoup plus simple – comme il peut, dans un chemin qui n’est pas tracé d’avance. En tout cas c’est ce que disent des tas de gens.
Harvey Milk n’est pas du tout un type antipathique : plutôt joyeux, convivial, bon vivant, capable d’entraîner autour de lui des dévouements qu’il sait parfaitement diriger. Il a de l’étoffe, du poids, de l’allure. Comme tout le monde il est malheureux lorsque la ferveur amoureuse éprouvée avec Scott Smith (James Franco) se heurte à la fiévreuse activité militante qui ne lui laisse aucun instant libre. Et, quelques années plus tard, il souffrira la même angoisse avec son nouvel amant Jack Lira (Diego Luna). La vie n’est pas tranquille.
Dans tout combat, il y a une sorte de phénomène militant qui agrège des individus qui sans lui n’auraient absolument aucune raison de se rassembler ; dans la même veine homosexuelle, j’ai songé à l’intéressant 120 battements par minute de Robin Campillo : comment vivre sans les actions communes, ferventes, agressives, déterminées qui opposent son propre Camp – forcément celui du Bien – à celui des autres – qui est celui des Affreux – et qu’on déteste à la hauteur de soi, qu’on valorise ?
Film compliqué, assurément, légèrement ennuyeux, incertain, content de lui-même. Très politiquement correct, finalement.