Province, désert sans solitude.
Il n’est pas douteux que les films de bande sont les plus déprimants qui se puissent. Sous l’apparente connivence de types qui essayent – ou font semblant d’essayer – d’oublier leur infinie solitude, il y a quelque chose d’affreusement amer, de désespérant, d’insupportable : on noie sa tristesse, ses incapacités, ses nullités, ses espérances déçues dans une sorte de folle farandole inutile où personne n’est vraiment dupe, mais où chacun joue sa partie en faisant mine de ne pas s’apercevoir que ça ne sert à rien.
Que ce soit dans Mes chers amis de Mario Monicelli en 1975 ou dans Vincent, François, Paul… et les autres de Claude Sautet en 1974, il n’y a, au fond, que des fuites en avant ; qui, comme il est évident, se terminent sur des précipices. I Vitelloni commence par montrer, en ce sens, les évidences ; disons que, étant à l’origine du genre, le film ne va pas tout à fait aussi loin qu’il pourrait aller. Il n’y a en fait, sur les cinq amis qui poussent leurs flemmes dans les rues désertes de Pescara, dans les Abruzzes, sur la mer Adriatique, que deux caractères qui sont développés ; deux et demi, peut-on dire. Deux des amis trentenaires qui se retrouvent et s’ennuient n’ont qu’un tout petit souffle : Leopoldo (Leopoldo Trieste), qui s’imagine auteur dramatique et Riccardo (Riccardo Fellini), doté d’une belle voix mais confiné à l’insignifiance. Fellini n’en fait que des inutilités qui pourraient prtaiquement disparaître de l’écran sans qu’on s’en aperçoive et ils ne sont là que pour faire nombre.
Le demi personnage, c’est naturellement Alberto (Alberto Sordi), curieux rôle très ambivalent, aux relations complexes avec sa mère chérie (Gigetta Morano) et avec sa sœur Olga (Claude Farell), qui a tout compris, puisqu’elle se casse en rompant toutes amarres, même avec un type douteux, même un type déjà marié (et rappelons qu’en Italie le divorce ne fut légalisé qu’en 1970 et que I Vitelloni date de 1953). Car ce qui compte dans le film, c’est la rupture, c’est le départ. C’est la fin de l’étouffement insidieux, indolore et tout autant tentaculaire qui assigne chacun à sa pesanteur.
Comme le remarque intelligemment le commentateur du DVD, le critique Jean Collet, il n’y a pas de récit structuré dans les films de Federico Fellini, mais une suite de vignettes, de portraits ciselés, de brèves images, de séquences qui figent la réalité de chacun ; mais il n’y a pas de vrai rapport entre les protagonistes. Le personnage principal, Fausto (Franco Fabrizi), de parfaite veulerie, prêt à tout dans sa manie de séduire, ne connaît pas de véritable histoire ni avec sa femme Sandra (Leonora Ruffo), ni avec quiconque : il n’est que rideau de fumée, encore moins consistant toutefois que son beau-frère Moraldo (Franco Interlenghi), seul personnage positif, sans doute, mais friable, inconsistant, incertain.
C’est donc moins le petit cheminement des aventures qui est intéressant que l’atmosphère absolument vide de la ville et de ceux qui y vivent qui compte. Tout cela se passe dans la mauvaise saison (la fin de l’été et l’automne et l’hiver italiens), dans une atmosphère plombée, livide, qui pèse sur les épaules de tous.
On peut penser que les dernières images, celles où Moraldo prend le train et quitte la ville sont la représentation de Federico Fellini lui-même fuyant Rimini pour se bâtir un destin. Qui de nous n’a pas connu à trente ans, le besoin de prendre la route ?