I Vitelloni, réalisé en 1953, montrait avec talent la vacuité des bandes de parasites incapables de construire leur vie. Il bidone, réalisé en 1955, représente l’infinie médiocrité d’escrocs à la petite semaine qui profitent petitement, méprisablement, de pauvres gens qu’ils grugent. Le film est souvent pathétique et même quelquefois glaçant. C’est vraiment le récit de la vie de minables qui, même s’ils se rendent compte de la saleté de leur existence ne peuvent pas à parvenir à s’en sortir. C’est un film qui pèse parce qu’il présente la réalité cinglante de la vie, les fausses bonnes raisons qu’on se donne, les accommodements avec la conscience, les tripatouillages avec sa morale.
Est-ce que Il Bidone n’est pas, d’une certaine façon, le film précurseur de la comédie italienne qui va surgir quelques années plus tard, avec Le pigeon et Les monstres ? D’une certaine façon, oui ! Qui n’aura pas songé d’ailleurs, en voyant les manœuvres des canailles qui dépouillent avec talent de pauvres gens crédules, aux farces – moins vénéneuses, il est vrai – que feront plus tard (1975, vingt ans après, donc), Mes chers amis de Mario Monicelli ? Il y a déjà l’esprit : les types mis en scène, qui sont en fait des canailles assez méprisables, sont d’abord présentés comme de joyeux et rigolos lurons, dont les escroqueries sont facétieuses et ingénieuses ; on sympathise donc avec eux… jusqu’au moment où l’on prend conscience que les saloperies qu’ils accumulent se font au détriment de pauvres, de misérables, de délaissés. Escroquerie aux bijoux où des joyaux de pacotille permettent de vider les économies de pauvres familles paysannes, ou bien escroquerie aux appartements sociaux qui dépouillent les habitants de bidonvilles crasseux des quelques lires qu’ils ont mis de côté.
Ce mélange de truculence et de pathétique, c’est d’ailleurs ce qui fait tout le sel de la comédie italienne : un regard sans tendresse mais surtout sans naïveté sur la condition humaine. En Angleterre, Robin des bois, en France Arsène Lupin volent les riches : en Italie, on montre, de façon bien plus réaliste, ceux qui volent les pauvres. Moins des personnages délicieux et désinvoltes que des pauvres types qui tentent de surnager au dessus des sables mouvants.
Cela étant, comme. toujours ou presque chez Federico Fellini, tout part un peu dans tous les sens et il y a plusieurs films dans le même film ; ainsi la longue soirée que donne le bandit Rinaldi (Alberto De Amicis) qui, d’une certaine façon préfigure l’orgie de La dolce vita et dont la structure a bien peu de liens avec le reste du film ; ainsi même la tendresse amoureuse du couple formé par Ricardo (Richard Basehart) et Iris (Giulietta Masina) qui irrigue les deux tiers du film puis disparaît, alors qu’elle en est une des rares lumières.
Ce qui manque à Il bidone, c’est une complète focalisation sur le personnage d’Augusto, Il Bidone (Broderick Crawford), qui ne s’impose pas d’emblée puis prend au fur et à mesure une place prépondérante, et sur qui les dernières images s’attardent. À mon sens, il aurait fallu en dire beaucoup davantage sur cet être qui peut être brillant, séduisant, attachant, mais aussi minable et désespérant, incapable de s’être jamais attaché à qui que ce soit et qui semble découvrir sa jeune fille Marisa (Irene Cefaro) alors qu’elle a déjà seize ou dix-sept ans et qu’il ne la voit plus depuis des mois.
Ces histoires de pauvres types meurtris par la vie et incapables de se sortir de ses entrelacs et de ses ramifications laissent toujours une impression de malaise puisque personne ne sort tout à fait indemne de leur fréquentation. De fait, Fellini laisse ouvertes assez largement les portes : on ne saura rien de ce qu’il advient au détestable gigolo Roberto (Franco Fabrizi), non plus que du couple incertain de Roberto et d’Iris. On voit simplement qu’Augusto n’en n’a pas plus longtemps.
On reste sur sa faim, d’une certaine façon.