Quelle pâtée !
J’ai bien dû voir jadis d’un œil discret (puisque j’ai tout oublié), Poulet au vinaigre, premier volet des aventures du policier mal embouché Lavardin mais je ne me souvenais pas, avant d’avoir regardé hier le deuxième épisode que c’était aussi mal fichu et aussi crispant, à cause des agressifs jappements anti-bourgeois de Claude Chabrol.
Je veux bien que cette classe sociale, dont Chabrol est issu (son père était pharmacien), soit percluse de vice, sournoise, veule, obsédée sexuelle, immonde structurellement, idiote, inculte, méchante et tout le toutim. Je veux bien qu’on présente les catholiques comme de sales sournois hypocrites, faisant en cachette ce contre quoi ils tonnent en public : on ne s’attaque qu’à ce qui existe et qui résiste et si on cessait de montrer des moines paillards et des moniales frustrées, des prêtres qui ne rêvent que de s’envoyer en l’air et des évêques confits dans le luxe de palais somptueux, ça prouverait simplement que l’Église a disparu de notre paysage habituel.
L’artiste a tous les droits, c’est une affaire entendue (en tout cas pour moi) et toutes les audaces, blasphème y compris, doivent lui être permises. Ce n’est pas moi qui irais manifester devant les provocations régulières de théâtreux ou de plasticiens, bien contents de faire monter des indignations qui leur donnent de la visibilité et leur assurent de la notoriété.
Mais j’aimerais que ces audaces soient un peu plus audacieuses. J’aimerais bien, par exemple, voir un jour un film où tous les prolétaires, absolument tous, seraient crasseux, incultes, idiots, dégoûtants, vicelards, laids, incestueux et tout ce qu’on peut imaginer de pire et où tous les bourgeois seraient subtils, généreux, intelligents, harmonieux, beaux, intéressants, altruistes, etc. Voilà qui serait un film audacieux, anti-consensuel au possible.
Parce que taper, comme le fait Chabrol sans nuance et sans finesse sur un grand écrivain catholique en fait salopard pervers qui ne rêve que trousser sa belle-fille (qui est pourtant passablement dessalée) est d’une écœurante facilité. D’autant que c’est fait au service d’une intrigue absolument médiocre, invraisemblable, incohérente, dont manifestement le réalisateur se tamponne le coquillard.
Chabrol a de la chance : il a trouvé un personnage intéressant en son inspecteur de police sarcastique et méchant et un interprète idéal avec un Jean Poiret étincelant, qui parvient à mettre sous le boisseau (ou sous l’éteignoir, plutôt) des acteurs aussi brillants que Bernadette Lafont et Jean-Claude Brialy. Poiret et Poiret seul porte le film, l’éclaire par l’éclat malin de son œil bleu, de sa voix coupante, de son allure excédée. Il a en lui une violence que le cinéma n’a pas su vraiment exploiter, alors même qu’il avait montré, depuis Assassins et voleurs, pénultième film de Sacha Guitry une aptitude au cynisme bien rare…
L’inspecteur Lavardin n’existe que par et pour Jean Poiret ; mais ça ne suffit pas à en faire un bon film.