Elle est pas jolie, la violence ?
Et voilà qu’à la lecture de toutes les critiques qui se sont accumulées sur Irréversible, on voit bien certaines perplexités, certaines gênes, certains agacements qui montrent assez que le film de Gaspar Noé
ne laisse personne indifférent, tiède ou placide… C’est normal : c’est fait pour ça.
Est-ce que ça n’est fait QUE pour ça ? Oui, non, peut-être et qu’est-ce que ça peut faire, sauf à ignorer Carne et Seul contre tous ont été réalisés avec le même parti-pris dérangeant, glauque et souvent obscène ? Que ce soit systématique peut ne pas plaire, mais enfin jouer l’effarouchement quand on va voir un film de Noé
, c’est abuser.
Ce cinéma-là, moi, me fascine ; je ne le conseillerais à personne, je n’y enverrais aucun ami, je peux fort bien comprendre que ça révulse, mais, pour d’obscures raisons, ça me capte.
Est-ce qu’il y a débauche de mise en scène ? c’est là-dessus que j’aurais tendance à rejoindre la cohorte opposée au film ; les mouvements d’une caméra ivre sont d’une grande force lorsqu’elle suit, comme des yeux et une tête en sang, la descente aux enfers dans les entrailles de la boîte sado-masochiste ; ils me semblent parfois un peu trop systématiques, plus faits pour décontenancer et surprendre gratuitement que pour apporter quelque chose au récit et à sa brutalité.
En revanche, le caractère sommaire, haché, simpliste, souvent inaudible des dialogues me semble parfaitement fonctionner et conduire le spectateur vers l’écœurement souhaité : ni formule, ni – moins encore ! – de mot d’auteur : la brutalité des situations ; le Où il est le Ténia ? hurlé obsessionnellement par Marcus (Vincent Cassel
) qui recherche le criminel dans la pénombre obscène du Rectum lui a été volontairement demandé, comme l’explique Noé
dans son commentaire parlé du film et correspond totalement à sa folie meurtrière.
Est-ce que ce qui a gêné beaucoup, c’est l’homosexualité du violeur et les images nauséabondes du Rectum ? C’est possible, et alors même que Gaspar Noé
n’est pas suspect d’homophobie primaire et militante ; si ce moment de l’histoire se déroulait dans une boîte échangiste chic où des couples du beau monde, publicitaires, journaliste ou trailers viendraient épancher leurs pulsions structurellement obscènes, je gage que, davantage politiquement correct, le film aurait moins indigné. Pourtant, que peut-on au fait que la boîte en question existe bien (à proximité des Champs-Élysées, précise Noé
) et que des brutes inimaginables comme Le Ténia existent ne fait pas non plus de doute. Alors ? On n’en parle pas ?
Il y a un moment, dans le cinéma, où l’objectivité ne fonctionne plus ; voilà pourquoi Irréversible m’impressionne et, d’une certaine façon, me fascine ; peut-être bien que des types aussi immatures que Marcus (Vincent Cassel
), aussi exaspérants que Pierre (Albert Dupontel
) n’existent pas ; mais les horreurs existent…