J’accuse

Le livre de la jungle

Je dois dire que je suis d’abord et avant tout allé voir le film en salle (ce qui ne m’arrive que deux ou trois fois par an) par solidarité avec le grand Roman Polanski, que des harpies féministes et leurs complices du politiquement correct ont prétendu interdire des écrans, ce qui est tout de même inimaginable. Je ne sais pas du tout si Polanski a violé une (ou deux ou trois ou quatre ou plus) jeunes filles. Cela regarde lui-même, sa conscience et la Justice. Et, à vrai dire, je m’en contrefiche absolument. Que Montherlant soit allé traquer le giton à Pigalle, que Marcel Proust ait fréquenté des bordels d’homme où il jouissait en faisant percer des rats par de longues aiguilles n’enlève rien à l’admiration que je porte aux Célibataires ou à La Recherche. Et que Michel Simon soit allé consciencieusement déposer des morceaux de pain dans des vespasiennes pour un usage que je vous laisse imaginer n’empêche pas qu’il soit un acteur admirable.

Mon soutien militant à Polanski – dont il n’a, Dieu merci, absolument pas besoin, J’accuse étant en tête du box-office français (ce qui démontre l’infime influence des Chiennes de garde dans l’opinion, à part dans les médias du Camp du Bien), succès dont la polémique est peut-être à la source (pan sur le bec !) avait pourtant beaucoup de mérite. Je me méfiais tout de même pas mal du sujet, dont je craignais qu’il fût emphatique et démonstratif et j’appréhendais aussi que les actuelles billevesées et les manies du tournage numérique ne l’emportent sur le talent du cinéaste qui a donné tant de grands films, RépulsionLe bal des vampiresRosemary’s babyLe locataireLe pianiste par exemple.

Et puis il ne faut pas que je dissimule que l’action politique du courant intellectuel à quoi je suis fidèle depuis cinquante-cinq ans est née d’une vigoureuse offensive contre l’innocence de Dreyfus et que, même si je puis déplorer beaucoup d’errements et d’aveuglements, le bât me blesse lorsque, comme dans le film, on ne fait que survoler à dix-mille mètres d’altitude le contexte historico-politique de la période.

Je dois dire d’ailleurs que je suis un peu interloqué que tant de monde se presse au cinéma pour applaudir – à bien des justes titres – le talent de Polanski et plus encore celui de Jean Dujardin, tout à fait satisfaisant. Parce qu’on ne me fera pas croire que la population qui assiste aux séances, si rassise et cultivée qu’elle semble être, est bien au fait de l’effroyable complexité de L’Affaire à qui des bibliothèques entières ont été consacrées.

Si j’ai encore entendu dans mon jeune temps des érudits qui apportaient des arguments-massues à la culpabilité effective de Dreyfus, la cause est entendue depuis longtemps et je n’en disconviens pas. Une immense partie de l’opinion française s’est trompée, a cru de bonne fois à la trahison de l’innocent capitaine et a vivement applaudi à ses condamnations et notamment – ce qu’on fait mine d’oublier aujourd’hui – les artistes célèbres (Rodin, Degas, Renoir, Cézanne, Toulouse-Lautrec) et la quasi totalité de l’Académie française (Anatole France excepté), et beaucoup d’intellectuels (Maurice Barrès, Paul Valéry), etc.

Le film de Polanski n’évoque absolument pas les origines de l’Affaire, ni même le climat passionnément antigermaniste où elle survient. Et à peine, pourrait-on dire, l’antisémitisme de la société française : il repose tout entier – ce qui est intéressant – sur la figure du Lieutenant-Colonel Picquart (Jean Dujardin), d’abord persuadé de la culpabilité de Dreyfus et qui découvre presque fortuitement l’innocence du capitaine et la forfaiture du commandant Walsin Esterhazy (Laurent Natrella), sombre canaille débauchée.

Tout cela serait bel et bon si le film n’était pas tourné comme une sorte de thriller où l’on se demande, haletant, où tout cela va bien finir par arriver. Moi qui pense avoir une connaissance de l’époque, du contexte et des déroulements de L’Affaire plutôt au dessus de la moyenne (sans en être le moins du monde spécialiste), j’ai été plutôt interloqué de la façon dont le film avance, à coups de boutoirs sans nuances, là où il en faudrait beaucoup, les positions des divers protagonistes n’étant pas inspirées par les mêmes préjugés ou errements.Une façon de filmer trop saccadée, trop d’emploi du numérique, mais aussi d’importants moyens et des décors de qualité ; une distribution sans faille, en grande partie issue de la Comédie française, le charme un peu fané mais toujours séduisant d’Emmanuelle Seigner

Qu’est-ce qui fait alors que je me sois souvent cru devant une réalisation léchée de TF1 et non devant un film du grand Polanski ?

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