Je n’avais pas revu le film depuis quarante ans et m’étais laissé emporter, dans mon souvenir, par les images dorées (bien qu’elles fussent en noir et blanc) de la joie de vivre grecque et par la musique trépidante, et alors si innovante, si exotique de Manos Hadjidakis (je doute que quelqu’un puisse prétendre n’avoir jamais entendu la chanson Les enfants du Pirée, qu’elle soit interprétée par Melina Mercouri, Dalida ou, plus récemment par le groupe Pink Martini.
Il faut dire que la Grèce, en ces premières années du tourisme de masse, bénéficiait d’une aura particulière : voir, quelques années après Jamais le dimanche l’autre immense succès de Zorba le Grec, avec Anthony Quinn et la musique de Míkis Theodorákis.
Jamais le dimanche fut donc un immense succès public et remporta des récompenses : prix d’interprétation féminine à Cannes pour Melina Mercouri et Oscar de la musique pour Manos Hadjidakis.
Je ne dis pas que ces récompenses-là sont imméritées. Le tempérament volcanique de la Mercouri et les airs de bouzoukis (cette sorte de luth à la sonorité si caractéristique) sont assurément le meilleur du film.
Mais le reste est catastrophique, et la bonne humeur des tavernes grecques ne suffit pas à effacer l’ennui profond d’un film qui n’est pourtant pas démesurément long (91 minutes). C’est que, des histoires de prostituées vaillantes, heureuses de leur travail, pas compliquées pour un sou et qu’un type devenu frappadingue d’elles cherche à sortir de leur condition, il y en a une palanquée. Elles sont quelquefois tragiques, souvent légères (me vient à l’esprit Irma la douce de Billy Wilder avec Shirley MacLaine, d’après la comédie musicale de Marguerite Monnot chantée par Colette Renard) et c’est tout de même toujours un peu artificiel. On passerait pourtant là-dessus et on accepterait de marcher dans le truc s’il n’y avait, sans doute pour jeter un voile pudique sur la réalité quotidienne du drôle de métier mis en scène, trop de séquences artificielles, burlesques et grotesques. Le film de Jules Dassin en fait trop sue la fausse cordialité, la gaieté de façade, l’insouciance prétendue…
Là encore, pas de moralisme, et moins encore de puritanisme : je vois mal comment le plus vieux métier du monde va disparaître un jour de sa surface, et il me semble même que la mondialisation le fait se porter de mieux en mieux. Là n’est pas mon souci, tout au moins sur le plan du cinéma ; ce qui m’ennuie davantage, c’est précisément de m’être ennuyé : on sent que Dassin, qui était follement amoureux de la Grèce et de Mercouri, rencontrées l’une et l’autre quelques années auparavant a souhaité réaliser un film sur sa propre volupté d’être. Il a écrit un scénario fantomatique, a choisi un excellent compositeur, a compté sur le tempérament de sa compagne et, soleil aidant, tout cela est passé comme une lettre à la poste.
Mais cinquante ans plus tard, ce n’est plus suffisant.