Trop sanctifié pour être honnête.
Alors voilà : un acteur de grande qualité, Daniel Coulombe (Lothaire Bluteau), ancien Premier prix du Conservatoire, revenu à Montréal après plusieurs années d’errance dont on ne saura rien reçoit singulièrement la charge de rénover et d’actualiser le Chemin de croix, rituellement organisé dans un prospère oratoire québécois par le Père Raymond (Gilles Pelletier), qui trouve qu’il serait bon de moderniser le récit que, depuis 35 ans, il présente aux fidèles.
Et voilà que l’acteur est chargé par le prêtre de mettre en scène le récit de la vie et de la mort du Christ. D’abord – de manière un peu pesante – c’est la recherche des quatre acteurs principaux indispensables, le castingdes principaux intervenants. Naturellement, Denys Arcand va les chercher dans à peu près toutes les strates possibles, en fonction des amitiés, des relations, des connaissances que chacun détient ; et c’est d’ailleurs pourquoi la délicieuse Mireille (Catherine Wilkening), habituellement mannequin professionnel, est choisie pour interpréter la Sainte Vierge, Marie, mère de Jésus.
Et voilà que ça marche : l’adaptation par Daniel du récit évangélique est tout sauf canonique mais reçoit les suffrages de l‘intelligentsia québécoise qui lui fait un triomphe : le wokisme est déjà à l’œuvre et tout ce qui peut démolir la tradition séculaire est ringardisé ; comme nous sommes, lors du tournage du film, en 1989, il demeure encore des chrétiens progressistes, des gens qui jouissent à imaginer que Jésus n’était qu’un illuminé, un prophète sans qualité, qui a dupé, par son charisme indéniable, toute une génération de benêts qui ont ensuite passé leurs vies à propager son enseignement. Mais, dans cette optique-là, La dernière tentation du Christ, de Martin Scorsese est d’une meilleure tenue.
Denys Arcand attaque de plein front : la religion, l’Église, l’hypocrisie possible de ceux qui la servent. Mais il n’est, comme d’habitude, jamais primaire ni minable : il pose des questions qui ne sont pas toutes possibles à résoudre, qui laissent des myriades de potentialités ; il y a, dans le film, un truc formidable : la démonstration pour nos pauvres petites têtes du Big bang et, presque, la démonstration de l’existence de Dieu. On sait – ou on devrait savoir – que c’est le chanoine belge Georges Lemaître qui, deux ans avant Edwin Hubbles a avancé cette théorie, qui est tout à fait conforme à ce que relate la Genèse, écrite 2500 ans auparavant. Mais le réalisateur s’appuie aussi à ce qui était, à l’époque de son film, le summum des recherches bibliques : on sait que Jésus, qu’évoquent incidemment des auteurs de la Rome classique (Tacite par exemple) n’est sans doute pas le personnage que la Légende dorée nous a présenté ; mais on sait aussi que son enseignement est de ceux qui dépassent les bornes.
J’en fais un peu trop, j’en suis conscient ; mais je ne suis pas le seul : Denys Arcand va bien au-delà encore: il calque les comédiens qu’il met en scène et qui interprètent avec professionnalisme et qualité le récit de la Passion sur les personnages du Nouveau Testament ; mais ils demeurent extérieurs, assez, sur ce qui se passe réellement. Et il ne sait pas comment il va terminer son film. Comme d’habitude, pourrait-on dire. Le cœur et les yeux de Daniel, qui a sottement perdu la vie dans un simple accident, vont irriguer de braves gens à qui ils sont greffés. Un peu niais, non ?