Jocelyn

Litres de larmes.

Il paraît qu’Alphonse de Lamartine avait tant de facilités à versifier qu’on pouvait le voir se pencher sur sa page et ne plus s’en relever pendant une heure après avoir aligné plusieurs centaines de lignes sans jamais avoir à en rectifier une tant ses alexandrins étaient parfaits. C’était l’époque, au demeurant, où la poésie était reine de France, où avec Alfred de VignyThéophile GautierAlfred de MussetVictor Hugo, la population lettrée vibrait de vers sonores, en plein cœur du Romantisme. Mais qui lit encore cela et qui se souvient de quelques vers qui, pourtant surgissent encore dans les mémoires, du type Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ou Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,/Dans la nuit éternelle emportés sans retour ?

Lamartine était donc un type extrêmement connu, au lyrisme si populaire qu’il crut même pouvoir se présenter à l’élection présidentielle de 1848 (qui élit au premier tour Louis-Napoléon Bonaparte) où il récolta fièrement 0,26% des suffrages (un peu moins encore que Anne Hidalgo en 2022, ce qui est remarquable, n’est-ce pas ?) Le gros de son œuvre est poétique, bien que, en matière de prose, Graziella ne soit pas dénué absolument d’intérêt et a donné lieu à deux adaptations.Mais, davantage encore, son texte romancé le plus notoire, est Jocelyn, curieux texte entièrement versifié, transposé trois fois au cinéma par Léon Poirier en 1922, par Pierre Guerlais en 1933 et enfin par Jacques de Casembroot en 1952. C’est cette vision que je viens de regarder, maladroite, lyrique, larmoyante, ennuyeuse, tournée avec une grande banalité et absolument mélodramatique.

Il est vrai que le récit est épouvantablement pleurnichard et qu’on ne voit pas du tout comment un réalisateur, fût-il de génie, aurait pu le tirer vers le haut. Mai 1786. Jocelyn (Jean Dessailly), garçon de petite noblesse désargentée apprend fortuitement que son parrain (Jean Debucourt), qui devait doter sa sœur Julie (Nicole Berger ici nommé Nicky) est ruiné et que le mariage prévu n’est plus possible… sauf si Jocelyn, abandonnant sa part d’héritage, entre dans les Ordres.Voilà qui est déjà un peu bizarre : que le garçon d’une famille noble puisse ne peut pas perpétuer la lignée, devoir d’Ancien Régime le plus important qui se puisse et se sacrifier pour sa cadette amoureuse est invraisemblable. Mais bon ! Il y aura tant d’invraisemblances dans le récit !

Six années ont passé et les horreurs révolutionnaires sont à leur sommet : on vient d’assassiner le Roi, le 21 janvier 1793 et on pourchasse et massacre les prêtres. Le directeur (Jean Vilar) du séminaire incite les novices à fuir la furie sanguinaire afin de perpétuer l’Église. Jocelyn n’a pas encore été ordonné mais sa foi est vivace et fervente. Secouru par un berger (Alexandre Rignault), il se réfugie dans une grotte montagnarde pour attendre la fin de la persécution. Des semaines se passent sans qu’il puisse quitter son refuge. Un jour il sauve et protège un jeune garçon pourchassé que lui confie son père blessé à mort. Ce garçon s’appelle Laurence, prénom dont j’ignorais jusqu’alors qu’il fût épicène. Car – vous l’aviez compris, malins comme vous êtes ! – Laurence de Pierreclos (Simone Valère) a été affublée en homme pour mieux échapper aux buveurs de sang.

Que voulez-vous qu’il puisse arriver entre deux jeunes gens confinés dans une grotte, beaux et charmants ? L’évidence, évidemment, sauf que Jocelyn ignore que son compagnon est une femme, mais que Laurence a appris que ce jeune homme qu’elle aime est promis au service de Dieu.

Que voilà un de ces beaux dilemmes que notre littérature a proposé à l’œil tendre des lecteurs ! Et puis, bien sûr, malgré leur amour les deux jeunes gens résistent à la tentation, Jocelyn fuit, Laurence se résigne mal, meurt de consomption et les deux amoureux se revoient une dernière fois sur le lit de mort de la jeune fille dans la solitude glacée des Alpes où Jocelyn exerce un rude ministère.

Le réalisateur belge Jacques de Casembroot se tire convenablement de ce pathos ; il a le tort d’incorporer dans son film directement nombre de paragraphes versifiés, issus du livre, dont la plupart, dans leur outrance lyrique, sonne un peu faux.. Jean Desailly et Simone Valère, partenaires à la ville comme à la scène font de leur mieux pour être le moins mièvres possibles mais n’y parviennent pas toujours…

Pour le reste, que dire ? Je crains que des histoires comme celle-là ne soient plus tout à fait audibles aujourd’hui. L’étaient-elles en 1952, date du film ? Je n’en suis pas certain non plus…

 

 

 

 

 

 

 

 

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