Déjà, faut dire que le Journal d’un curé de campagne n’est pas un film d’aventures, ni de cancans, ni de grasses et putassières allusions. Parce qu’on y parlerait de prêtres. Rien à voir avec Clochemerle, avec Mon curé chez les riches, ni avec Don Camillo. Encore moins avec Mon curé chez les nudistes. Rien à voir. Rien du tout. Une aventure spirituelle tendue, difficile, austère, rogue qui demande qu’on ait de l’intérêt pour les misérables questions de la Grâce, de l’ouverture, de la Charité, de l’impuissance de donner à ceux qui vous entourent ce qu’on voudrait leur donner. Un film sur la solitude ; pire : sur la glaciation de la solitude et sur la capacité de désespérer. Voilà déjà qui n’est pas bien séduisant, n’est-ce pas ? Rien de distrayant, d’attirant, de facile, de réjouissant. Pas le moindre espace de tendresse ou de sourire.
Un tout petit bonhomme, le jeune, novice, fragile curé d’Ambricourt (Claude Laydu), dont on ne connaîtra jamais même le prénom, envoyé, pour sa première mission ecclésiale dans un village perdu du Pas-de-Calais. Chemins du pays d’Artois, à l’extrême automne, fauves et odorants comme des bêtes, sentiers pourrissants sous la pluie de novembre, grandes chevauchées des nuages, rumeurs du ciel, eaux mortes…’’ écrira Bernanos dans Les grands cimetières sous la lune ». Une paroisse austère, glaçante, corsetée, fermée. Des paroissiens sans qualité, hâves, blêmes, mauvais, qui n’ont presque pas d’existence, qui vivent comme des bêtes. Guère de méchanceté, mais pas la moindre sympathie : tout est affreusement corseté et attend le passage du temps, immuable comme les saisons et les récoltes.Le film est austère, grandiloquent, douloureux, solennel. À peu près conforme au roman, déjà bien accablant, mais renchéri par l’esprit janséniste de Robert Bresson qui n’a jamais laissé place à l’espérance, sauf à dire que la Grâce, la Grâce seule, peut modifier le cours des choses. On peut comprendre, d’ailleurs et c’est ainsi que s’achèvent livre et film ; mais que c’est long, que c’est lent, que c’est guindé ! Ce qui peut se laisser lire, découvrir, aimer, passe beaucoup moins dans l’optique sévère d’un cinéaste qui n’a jamais cessé d’enquiquiner tout le monde.
Robert Bresson fait d’ailleurs tout pour rendre son film (tous ses films, bien sûr) rébarbatif. Lumière grise, paysages de boue, maisons sévères, sales, glaireuses. Et les visages, donc ! L’insignifiance des traits mous, sans caractère, du Curé (jamais nommé), (Claude Laydu), l’œil méprisant, médiocre du seigneur du village, le comte (Jean Riveyre), la sécheresse hautaine de sa fille Chantal (Nicole Ladmirant, qui se suicida d’ailleurs quelques années plus tard, à 28 ans), l’insignifiance des traits de la comtesse (Rachel Berendt), la chair habituellement pauvre d’Yvette Étiévant, la femme de ménage compagne du prêtre défroqué chez qui le Curé d’Ambricourt va aller mourir… Et presque tous les autres.
C’est d’ailleurs ce que voulait Robert Bresson qui fera de plus en plus appel à des acteurs improvisés, des amateurs dont le jeu sera de plus en plus atonal.Il y a des amateurs de ce cinéma-là. S’être ancré sur les récits graves de Georges Bernanos est assez conforme à son esprit. N’empêche que lorsque Maurice Pialat réalise le superbe Sous le soleil de Satan et choisit Gérard Depardieu et Sandrine Bonnaire pour incarner ses personnages, il est bien davantage convaincant. ` Il est vrai aussi que le premier roman de Bernanos, publié en 1926, décrit le combat d’un saint contre Satan alors que le Journal, publié dix ans plus tard est celui d’un pauvre homme contre la médiocrité, celle des autres mais aussi contre la sienne propre…