Judex

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Terreurs et bonheurs

Pour qui a gardé un soupçon d’esprit d’enfance, et qui est prêt à marcher dans une belle aventure, terrifiante et onirique tout à la fois, voilà un film qui nous replonge aux temps où les populations tout entières, du haut en bas de l’échelle sociale, guettaient, chaque jour ou chaque semaine, la parution de la suite du feuilleton qui les avait fait haleter…

Judex est un beau, un magnifique hommage à l’enfance du cinéma, et davantage encore, au roman d’aventures, qui ne se soucie ni de psychologie, ni de vraisemblance, mais qui met en scène toutes les terreurs et les bonheurs du roman populaire : personnages chevaleresques ou monstrueux, déguisements inouïs, passages secrets, coups de théâtre, révélations singulières, coups de poignards, poisons et cataleptiques, masques et grimages, lourds passés dévoilés, triomphes du héros et de l’héroïne.

Judex70Judex, il faut bien le dire, est l’envers de Fantômas, et un envers tout de même moins grandiose, parce que le Bien est toujours moins spectaculaire que le Mal ; d’ailleurs, dans le film de Franju, le personnage éclatant n’est pas le Justicier, joué sans grand talent par un prestidigitateur au physique avantageux, alors célèbre, Channing Pollock, mais bien la perverse et maléfique Diana Monti, jouée avec un talent fou par la superbe Francine Bergé, au visage si inquiétant. C’est elle qui forge le film, le structure et le magnifie, qu’elle soit vêtue en stricte institutrice, qu’elle porte la si seyante cornette des Sœurs de la Charité, qu’elle ondoie, telle Musidora en simple collant noir, qui met en valeur un beau corps souple… C’est elle qui est le Génie du Mal, la Maîtresse de l’Épouvante, la terreur incarnée, qui n’hésite ni à tuer, ni à pervertir…

Bruit, fureur, incohérences, poursuites, séquestrations, meurtres, fuites éperdues, maladresses, coïncidences invraisemblables, tout cela est le lot commun de ces serials qui furent les premières tentatives de récit cinématographique, et que Franju restitue avec un rare bonheur.

0357d3d5-bc90-49a4-a57d-000000000322J’ai dit combien Francine Bergé dominait la distribution et le propos ; il serait injuste d’oublier une Édith Scob, diaphane et aérienne, moins poignante, sans doute que dans Les yeux sans visage mais qui ajoute sa touche d’irréalité onirique, et même, dans un rôle mineur mais intéressant la ravissante Sylva Koscina ange blanc tout autant que Francine Bergé est ange noir. En revanche, les hommes ne brillent guère. Outre le bellâtre du rôle-titre, très inférieur à ce que l’on attend de l’implacable Justicier, on note la présence incongrue de Théo Sarapo, dernier amour et mari d’une Édith Piaf (qui en compta beaucoup), dont on peut supposer qu’il joua un rôle important par roublardise de producteur…

Enfin, Judex est un bien beau film, une réussite impressionnante, marquetée de superbes séquences, telle celle du bal de masques, d’un total onirisme, séquences qui font regretter que Franju n’ait pu tourner un film, ou une série consacrée au Génie du Crime, au Maître de l’Effroi, au personnage admirable et épouvantable crée par Pierre Souvestre et Marcel Allain, au seul et unique Fantômas.

Et comme il est tard, je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler le dernier couplet de la complainte écrite par Robert Desnos, complainte qui glace et saisit

FantômasAllongeant son ombre immense
Sur le monde et sur Paris
Quel est ce spectre aux yeux gris
Qui surgit dans le silence ?
Fantômas, serait-ce toi
Qui te dresses sur les toits ?

Judex est infiniment supérieur aux Nuits rouges, sans pour autant atteindre la grâce terrifiante et poétique des Yeux sans visage du même Georges Franju. Il faut, pour le bien apprécier, avoir la nostalgie du Noir et Blanc, n’être pas du tout regardant avec la vraisemblance (délibérément mise de côté) et – ce qui est plus grave – supporter le côté gourmé de Channing Pollock, qui joue le rôle-titre, et les minauderies agaçantes de Jacques Jouanneau qui interprète le rôle d’un détective privé maladroit et pusillanime.

Mais Judex vaut énormément pour le talent glaçant et maléfique de Francine Bergé et par d’étranges et merveilleuses scènes, en premier lieu par ce Bal des Oiseaux, dont tous les participants portent un masque, qui est étrange, onirique, enchanté…

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