Le crime ne paie pas. Du tout.
Bonne surprise que la découverte inopinée de ce bon agréable polar efficace, tourné par le bien oublié Pierre Billon. À dire vrai, je suis presque certain que c’était là le premier film que je voyais d’un réalisateur dont un des rares titres de notoriété est d’avoir mis en scène, en 1946, L’homme au chapeau rond, dernier film interprété par Raimu, adapté de L’éternel mari de Dostoïevski. Mais sinon, d’une honnête filmographie d’une bonne trentaine de films, dont certains ont paraît-il eu un certain succès public, rien ne surnageait.
Ceci n’est pas pour dire que Jusqu’au dernier est une pépite admirable oubliée dans le grand torrent des années. Quoiqu’on veuille en penser, les chefs-d’œuvre inconnus sont aussi rares que les artistes maudits et sans doute même davantage. Mais on peut passer une heure et demie bien agréable à suivre une histoire bien fichue, bien racontée, bien interprétée, bien dialoguée (par Michel Audiard, qui avait déjà derrière lui une jolie carrière mais ne bénéficiait pas encore de la grande notoriété qui surviendra très vite ensuite).
Et puis aussi une musique signée par Georges van Parys, des décors par Jean d’Eaubonne, comme assistant réalisateur Claude Pinoteau. On n’est pas dans la gnognote, on n’est pas dans le film fauché ; d’ailleurs mettre au devant de l’affiche Raymond Pellegrin et Paul Meurisse marquait une belle ambition. Le premier était, en 1957, une des grandes vedettes de l’écran français, tout auréolé de la stature de Napoléon Bonaparte qu’il avait incarnée dans le Napoléon de Sacha Guitry. Le second venait de remporter un succès éclatant avec Les Diaboliques de Henri-Georges Clouzot. Parmi les seconds rôles, Mouloudji tenait une place importante, moins dans le cinéma qu’il avait abordé tôt (Les disparus de Saint-Agil, Les inconnus dans la maison que dans la chanson ou Comm’ un p’tit coquelicot ou Un jour tu verras lui avaient assurés une place à la mesure de son grand talent.
Chez les filles, Jeanne Moreau avait engagé depuis quelques années une carrière qui allait devenir de plus en plus éclatante ; elle est, dans le film, absolument ravissante et séduisante. On ne peut pas dire tout à fait la même chose de Mijanou Bardot qui est, comme on le devine, la sœur de l’autre, mais qui devait être tellement mauvaise qu’on a jugé bon, dans Jusqu’au dernier, de la faire doubler, pour la voix, par Martine Sarcey ni de Jacqueline Noëlle, extrêmement bien carrossée mais dénuée de tout talent. Passons sur le visage étrange de Lila Kedrova et admettons qu’il fallait bien qu’Orane Demazis pût payer son loyer et son café au lait après avoir été abandonnée par Marcel Pagnol.
Voilà bien des choses sur ce qu’on pourrait appeler la confection du film ; passons à sa substance, même si le mot est trop fort ; le vieux schéma du gangster, Fernand Bastia (Raymond Pellegrin) qui, à peine sorti de prison, tente de rouler ses complices pour profiter à lui tout seul du gros magot de 14 millions de francs qu’il a mis à l’abri dans un casier de consigne de la Gare du Nord. Naturellement ses complices, dirigés par Fred Riccioni (Paul Meurisse), assisté par son homme de main sadique Pépé (très bien interprété par Jacques Dufilho) ne sont pas du tout disposés à se faire gruger. Et tout cela se passe dans le cadre bizarre d’une fête foraine où Bastia/Pellegrin tente de se dissimuler au milieu des forains, surtout des artistes de cirque.
Il y a là de l’originalité, du rythme, des trognes bien dessinées, des rebondissements classiques mais qui se laissent regarder. À la fin, comme le cinéma de 1957 est éminemment moral, les méchants, les gangsters, les canailles sont tous éliminés et l’argent volé finit en cendres. N’empêche qu’on a pris bien du plaisir à regarder, à apprécier les nombreuses péripéties qui ont conduit à cette conclusion tout à fait logique. En d’autres termes, des films comme ça, on en redemande et on en est ravi !