Le canular majuscule.
Même si je répète à cor et à cris que Les hommes de bonne volonté, fresque capitale en 27 romans reliés les uns aux autres est une œuvre majeure du XXème siècle et qu’il y a là dedans la matière de cinquante films, le cinéma n’a gardé de Jules Romains qu’un bref récit tendre, Les copains et la rosserie délicieuse de Knock, immense succès de théâtre qui fut porté plusieurs fois au cinéma. La première version, muette, de René Hervil (1925) doit être, pour une pièce aussi pleine de verve, assez singulière à voir ; la deuxième, qui date de 1933, a été réalisée par Roger Goupillières assisté par Louis Jouvet, qui avait d’ailleurs créé le rôle sur la scène. Et après un troisième film, tourné par Guy Lefranc, il y a eu deux adaptations télévisées, la première par Marcel Cravenne en 1955, la seconde par Laurent Preyale en 2004.
On voit par là que la pièce est inusable ; et de fait personne n’ignore ce chef-d’œuvre narquois et grinçant, personne n’ignore Ça vous chatouille ou ça vous grattouille ?, surtout quand c’est dit par l’incroyable voix de Jouvet et le gigantesque canular de cette vallée auvergnate perdue devenue par la grâce et la folie du docteur Knock une sorte d’hôpital absolu atteint les plus belles dimensions. Certes, canular, ce mot idiomatique, forgé comme thurne, par les élèves de l’École Normale Supérieure, dont Romains fut pensionnaire de 1906 à 1909 définit essentiellement une ‘’plaisanterie généralement organisée en groupe visant à un effet de surprise (en principe agréable) pour les personnes auxquelles elle s’adresse, mais amusant généralement surtout pour ses auteurs’’ (Wikipédia), mais l’outrance même de la situation s’applique assez bien à Knock.
Si l’invraisemblance de la situation ne gêne pas une seconde, c’est sûrement parce que Jules Romains a su créer avec son médecin fanatique et subtil un véritable type, comme Harpagon ou Alceste.
La pièce est inusable, mais elle est aussi sarcastiquement parfaite : sa transposition sur l’écran fut sans doute aisée et les scènes d’extérieur, sans en diluer la vivacité, lui donnent, au contraire de l’ossature et de la chair.
Outre Jouvet, sublime, la distribution est excellente, notamment Madame Pons (demoiselle Lampoumas !) jouée avec un brio extraordinaire par Marguerite Pierry, aux rires de gorge et à l’œil séducteur célèbres. Mais l’instituteur Bernard, joué par Pierre Bertin est aussi excellent (souvenez-vous : c’est, dans Les tontons flingueurs, Amédée Dieulafoy, qui vient, en gants beurre frais, demander à Ventura la main de sa nièce pour son fils Antoine (Claude Rich) pendant que sifflent les balles), tout comme le toujours solide Jean Brochard en Docteur Parpalaid et l’éternelle Jane Marken, femme de Parpalaid, gloussante impérieuse et Pierre Renoir, le pharmacien empressé (au fait, sait-on que Jouvet avait fait des études dans cette science ?). Il n’a guère que Jean Carmet, dans un rôle de gugusse qui en fasse un peu trop.
Les répliques fusent (Les années de vieillesse, on en a toujours assez… pour le plaisir qu’elles vous donnent !) et la fable se boucle par l’internement-hospitalisation de Parpalaid au milieu des patients fascinés par le triomphe de la médecine.