La chambre ardente

De bonne allure…

L’effleurage rapide des trop nombreux épisodes d’Angélique marquise des anges, rituellement diffusés durant l’été, m’a remis en tête le personnage de Desgrez, le policier ironique et efficace interprété par Jean Rochefort. Et notamment de son action pendant L’affaire des poisons, gentiment relatée dans Angélique et le Roy. (Je continue à déplorer que cette histoire fantastique et terrifiante n’ait jamais été vraiment mise en scène, et surtout pas dans le film d’Henri Decoin.

La chambre ardente est, certes, un Duvivier mineur, un Duvivier des dernières années, postérieur à Marie-Octobre, mais ce n’est pas mal du tout, meilleur, en tout cas que Boulevard, Le diable et les dix commandements ou Chair de poule, au niveau de Diaboliquement vôtre. Il est vrai que le scénario est bâti sur l’intrigue d’un roman de John Dickson Carr, qui m’est inconnu, mais qui semble bénéficier d’une grande notoriété dans le domaine du roman policier à énigme. D’après ce que j’ai lu du roman, le gros de l’intérêt tourne autour de l’ingéniosité de l’énigme posée et de sa résolution.

chambre04On ne peut dire que c’est l’esprit du film, grâce à Duvivier et à son scénariste et fréquent complice Charles Spaak, avec qui il a tourné La belle équipe et La fin du jour, et qui a collaboré avec Jacques Feyder (La kermesse héroïque), Jean Grémillon (Gueule d’amour), et Jean Renoir (La grande illusion). Les rapports entre les protagonistes, leurs ambigüités, leurs failles, leurs angoisses sont placés au premier plan, et cela donne un film au suspense continu, atypique et bien rythmé.

Tout n’est pas de haute qualité, en particulier dans la distribution : l’écrivain Michel Boissard est interprété par un Allemand bien pataud, Walter Giller, parachuté là par les caprices de la coproduction internationale ; mais le vieil oncle Mathias Desgrez (Frédéric Duvallès) et la descendante de la marquise de Brinvilliers (Édith Scob) sont l’un et l’autre bien pâles.

Ce qui est fort habile, c’est l’entrecroisement entre une intrigue policière assez banale (comment recueillir l’héritage d’un vieil oncle richissime ?) et les coulisses sombres de l’Histoire : deux des personnages sont descendants directs d’acteurs essentiels d’une affaire criminelle ancienne. Cet entrelacs permet de mélanger habilement une enquête sur la veulerie des héritiers possibles (Jean-Claude Brialy et Perrette Pradier d’un côté, Claude Rich de l’autre), la révélations de secrets amoureux (la liaison criminelle entre Brialy et l’infirmière de l’oncle milliardaire, Nadja Tiller), et surtout les malédictions ancestrales surgies de l’Affaire des Poisons, la lignée pervertie de la Brinvilliers, les messes noires, les sacrifices d’enfants et tout le tremblement. On ne creuse pas très loin, mais c’est efficace. Noter la composition subtile d’Antoine Balpêtré, qui connait bien des choses et ne peut en dire plus…

Maître-filmeur, Duvivier sait créer des ambiances ; l’Allemagne romantique et démesurée où se passe le film, les forêts de sapins profondes, les châteaux rococo, les maisons à pans de bois, comme dans Marianne de ma jeunesse. Mais quand il s’agit d’introduire une touche fantastique, il est aussi intéressant que Mario Bava, avec crypte, tombeaux armoriés, oiseaux de nuit, brumes flottantes, lumières sourdes…

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